La devise du Québec est faite de trois mots et de plein d'ambiguïtés, certainement à l'image des esprits qui la composent. Inscrite officiellement et pour la première fois sur la sculpture de l'architecte Eugène-Etienne Taché qui orne la porte du Parlement de la ville de Québec, elle dit ceci : "Je me souviens".
Vous me demanderez pourquoi s'intéresser à un tel détail de l'Histoire, Histoire d'un pays que je connais encore si peu. D'abord c'est peut-être pour l'avoir vu inscrite sur toutes les plaques d'immatriculation des voitures québécoises. Ensuite, inconsciemment peut être aussi, pour m'être confrontée à divers profils de canadiens, ou québécois, qui ne voyaient pas mon arrivée sur leur sol avec la même joie partagée. Canadiens ou québécois ce n'est d'ailleurs pas la même chose, la fierté étant souvent placée du côté de la langue couramment utilisée, mais ceci est un autre sujet.
Revenons-en à la devise, car faire un débat sur les courants anglophones ou francophones, libertaires ou conservateurs de la région de Québec nous amèneraient dans des discussions sans fin, Sarkozy ayant déjà il y a peu rallumé la mèche de la discorde dans son discours moyennement apprécié de ce côté de l'Atlantique.
"Je me souviens" donc, mais de quoi? et de qui?.. Le fameux Taché n'a justement pas bien pris à coeur sa tâche (excusez le jeu de mot) car il n'a laissé aucune explication à ces trois mots qui rendent même perplexes les quelques montréalais que j'interroge sur le sujet. En disposant sur son monument une série de sculptures représentant différentes figures de l'Histoire, il voulait je pense enraciner les québécois dans leur Histoire, faite de mixité et de richesses combattues longtemps par les armes. On y retrouve la figure d'Amérindiens, d'explorateurs, de missionnaires, de militaires et administrateurs français mais tout autant, si ce n'est plus encore, de figures du régime anglais. Ainsi il a probablement voulu dire que le Québec d'aujourd'hui est le fruit de tous ceux là, ceux là même qui s'affrontent sur le terrain politique. Taché avait par ailleurs laissé des places libres dans sa sculpture pour proposer aux générations futures de continuer le combat de la défense d'une patrie mixte mais forte. Seulement à laisser libre interprétation on ne pousse pas forcément à l'ouverture d'esprit. Mais quoi qu'il en soit il est sans nul doute enviable aux québécois d'avoir une devise à qui chacun peut donner le sens qu'il désire en terminant la phrase à sa guise.
La confusion, qu'elle ait été voulue ou non par son initiateur, est là, partout. Dans l'avion qui m'a amenée à Montréal le mois dernier, un montréalais féru de ski et qui rentrait d'un séjour dans les Alpes m'a expliqué que lui, avant d'être québécois se disait canadien, et qu'ainsi il recevait les foudres de nombre de concitoyens. Plus tard j'ai entendu de nouveau ces mots dans la bouche d'autres et parfois la fierté était dans l'héritage français et européen, parfois dans l'appartenance à une terre anglaise avec un soupçon de dénigrement des français, bref, c'est flou. Il me faudrait plus de temps pour étudier ce sujet là avant d'en parler, d'autant que mon expérience se limite à Montréal.
Ce qui me plaît à moi maintenant dans cette devise, c'est qu'elle ressemble à une phrase coupée dont on aurait retrouvé que la moitié, comme une ironie qui nous laisse penseurs.... Elle nous renvoie tous à notre propre Histoire, ou à NOTRE histoire personnelle, celle qui nous a fait arriver ici, et pas ailleurs. J'aime cette idée de garder dans un coin de sa tête, malgré tous les voyages et toutes les péripéties, l'endroit d'où l'on vient, et notre histoire. Parce-que c'est important d'avoir un point de départ, et de ne pas partir pour fuir quelque chose sinon parce que ce quelque chose nous a amené ici dans un but précis. Partir en sachant pourquoi et ce que l'on laisse derrière. Se souvenir, mais avoir le choix du souvenir. Simplement ne pas oublier de se souvenir...
Contrairement à notre "Liberté, Egalité, Fraternité" (pas vraiment moins flou soit dit en passant...) la devise québécoise est très nettement tournée vers le passé, et la mémoire des québécois en est la preuve vivante. A la relire deux fois cette devise serait presque comme un reproche pour tous ceux qui ont oublié... mais oublié quoi??... Ouf, on a la libre interprétation. Y a-t-il quelque chose que l'on ne m'aurait pas dit sur l'histoire du Québec? Je sais que beaucoup d'entre vous qui demandent un PVT, tout comme moi il y a quelques mois, ne savent pratiquement rien de l'histoire de ce pays où l'on a pourtant une terrible envie d'aller passer une année entière de sa vie. Mais bizarrement l'on se sent plus encore impliqué dans la réalité québécoise lorsque l'on s'intéresse de plus près à des personnages comme Champlain et Maisonneuve et leurs aventures avant de fonder respectivement les villes de Québec et Montréal. Je me suis d'ailleurs étonnée de voir que beaucoup de québécois (Montréalais en l'occurrence) étaient persuadés que les français étaient incollables sur l'histoire du Québec, la révolution tranquille et tout et tout... serais-je la seule qui n'ait pas fait l'effort de m'instruire avant de partir?
Voilà, sans vouloir être rébarbative ni donner des leçons d'histoire loin de là, lorsqu'on se sent bien quelque part on a envie d'en savoir plus, et en cela le Québec est bien choisi pour attiser notre curiosité, souvenez-vous en !!