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    Avatar de Lilou
    Julie

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    Voici le récit des quatre jours qui ont suivi, certaines choses sont un peu sans intérêt, c'est juste du vécu

    Peter nous accompagne Jessie et moi à l’endroit où se font les récoltes, tous les jours à partir de 7h. Il va nous falloir couper des grappes de raisin et couper les grains abîmés avant de les mettre dans des cagettes qui doivent peser précisément 9kg avant que l’on en entame une nouvelle. La cagette est payée 2$ brut et ses bons pickers en remplissent une centaine, soit 200$ brut, soit 140$ nets par jour, ce qui est cool.

    Nous savons pertinemment qu’on ne sera pas aussi rapides mais on pourra quand même se faire de l’argent je pense et avec un peu de pratique, on devrait s’améliorer

    Nous faisons connaissance avec nos collègues, des Australiens et des Malaisiens pour la plupart, ils ne sont pas nombreux mais on sent que notre arrivée rompt une certaine routine qui s’est installée petit à petit. Certains travaillent ici depuis deux mois ou plus, c’est énorme mais bon, ils gagnent des sous et n’ont pas la possibilité de les dépenser car il n’y a absolument rien à moins de 25 minutes de voiture (si ce n’est plus). C’est l’avantage du fruit picking d’ailleurs car on ne va payer ni loyer, ni charge.

    Les locaux (douches et compagnie) sont assez rudimentaires et les chambres proposées sont sales (le matelas surtout car il y a beaucoup de terre rouge à cet endroit) et les filles présentes sur les lieux me disent de nettoyer le matelas et de le mettre toute une journée au soleil pour tuer les puces, euh, ouais, super ! Je vais dormir dans le van avec Jessie ou dans sa tente, là au moins je serai sûre de pas avoir de mauvaise surprise le matin.

    En tout cas, ça ne craint pas ici, il n’y a rien de rien, ni maison, ni vache, ah si ! On a vu quatre kangourous traverser la route tout à l’heure , bref, il n’y a que quelques travailleurs, des tracteurs et des hectares de vignes… (Je vous écris de Mildura, LA "grande" ville du coin, car malheureusement, la ferme n’a pas de connexion Internet, ralala… )

    On en profite pour faire des courses (car 25 minutes à 10 k/h sur une route pourrie pour acheter des pâtes, ça va pas le faire…) et on achète des gants pour le fruit picking car je sais qu’avec ma peau, je vais avoir des cloques en une heure à peine et là, adieu rendements enrichissants

    --

    Finalement dans le van, je me suis fait piquer par des “bedbugs”, genre de petites bêtes qui piquent en ligne, c’est-à-dire que vous n’aurez pas UN bouton mais une ligne de boutons, ce qui fait que j’en ai dans le cou, sur la joue, sur le poignet gauche et sur la cheville droite. Jessie expérimente cette joie de backpacker depuis plus d’un mois mais les bêbettes sont ravies de goûter un peu à la nouvelle locataire : moi

    Cette nuit, je ne vais pas dormir dans le van car… car nous avons trouvé une maison !

    Oui, parce que, pour la 2e journée consécutive, nous ne travaillons pas car il pleut, est-ce que demain ce sera pareil ?
    Nous ne savons pas quoi faire, nous ne voulons pas partir car nous sommes venues jusqu’ici dans un but précis : gagner de l’argent. D’un autre côté, nous n’en gagnons pas dans ces conditions (mais ce serait la même chose dans n’importe quelle ferme de la zone où l’on est…)
    Bref, nous n’avons rien à faire, alors on part à la découverte des alentours de la ferme et à à peine 50m de là où les autres dorment, on trouve une maison abandonnée, on en fait le tour et on voit qu’avant, c’était bien animé, il y avait un pub, un petit jardin aménagé en forêt amazonienne, c’est très joli. Jessie parvient à ouvrir une des portes et on découvre une vraie maison avec une grande cuisine, trois chambres, deux salles de bains, deux toilettes, bon, ce n’est pas propre, c’est sans doute inhabité depuis bien longtemps mais il y a l'électricité et on se dit qu’on dormirait bien dedans, moi sur le tapis de sol que Jessie a avec sa tente et avec mon duvet, au moins je verrai si les bedbugs sont dans le van/le matelas ou pas.

    Ce matin, mon moral est au plus bas depuis que je suis arrivée en Australie, je ne frôle pas la dépression mais c’est dur… C’est dur parce qu’on est au milieu de rien du tout, mais vraiment rien du tout, on est quelques personnes ici et c’est tout. S’ajoute à ça l’absence d’Olivier (déjà contrariante en soi mais d'autant plus contrariante car je vois que je suis là depuis 2 jours et que je n’ai toujours pas bossé et que si j’avais su, je serais restée deux jours de plus à Melbourne, mais avec des “si”, on mettrait Paris en bouteille, right ? ).

    En plus de ça, je suis très fatiguée, je ne dors pas super bien et comme je me fais constamment croquer, ça fait ça plus ça plus ça plus ça et c'est l'overdose !

    Quoi d’autre à dire ? On se bat avec les mouches qui sont vraiment très très relous.

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    On regarde la météo de demain pour voir si la pluie prévoit de nous laisser un peu de répit, il semblerait que oui mais que vendredi et samedi, le temps se dégrade à nouveau. Je me sens un peu désespérée, désespérée de ne pas pouvoir travailler régulièrement, de ne pas gagner d’argent, alors je décide de m’accorder le temps de la réfléxion avant de voir ce que je vais faire (should I stay or should I go ?).

    Je décide d’attendre demain, de voir comment se passe cette première journée de fruit picking tant attendue !
    Un nouveau picker arrive, on dirait un Irlandais, mais non c’est un Australien, qui parle comme quelqu’un qui imite un gars bourré, il est gentil mais c’est pas évident de le comprendre, on s’habituera petit à petit à sa façon de parler

    On s’achète des pizzas, qu’on fait chauffer dans le four de la maison pendant qu’on prend la douche du siècle. On passe une très bonne nuit et nous ne nous faisons pas piquer (ou presque, heureusement car je me trouve bien moche avec tous ces boutons sur le menton, le front, le cou, snif…)

    J’oubliais de vous parler de notre coup de flip, car même à 22 ans, je psychote quand il fait sombre, dans une maison abandonnée, dans le fin fond de l’Australie, eh oui, personne n’est parfait

    On se lève ce matin à 6h30 pour travailler à 7h comme prévu. 7h… personne, ok, ils ne nous ont pas attendues… Si, si mais ils ne sont pas pressés, on ne part en direction des vignes qu’à 7h30, un peu dégoûtées de ne pas avoir dormi plus mais super contente de bosser enfin !

    Les raisins sont trop humides, pleins d’eau et comme ils sont voués à être congelés on ne peut pas les cueillir maintenant car lorsqu’ils sont congelés pleins d’eau, ils explosent… Nous devons attendre 10h. Les autres retournent au “campement” pendant que Jess et moi numérotons nos cagettes (pour que l’on sache que ce sont les nôtres) et que nous les préparons (il faut mettre un sac plastique au fond de chaque cagette). Nassim, notre supérieur, décide que nous allons bosser ensemble sur le même chariot Jess et moi et qu’il divisera la paie en deux.

    Nassim et celui avec qui il travaille ne sont pas super aimables avec nous, le second ne répond pas quand on lui parle, on suppose qu’il parle mal anglais mais en fait il est très timide

    Nous pensons ne pas être trop lentes mais Yuki, qui est là depuis deux mois, enchaîne boite sur boîte, c’est impressionnant ! On saura à la fin de la journée que nous nous arrêtons trop sur des grappes abîmées. En gros, il faut couper une grappe et s’il y a trop de travail de nettoyage à faire dessus (c’est-à-dire enlever les grains de raisins trop petits ou abîmés), il faut la jeter par terre et en prendre une autre alors que nous, on a plutôt tendance à “faire ça bien”, bon, on saura qu’il ne faut plus le faire ! En tout cas, c’est pas aujourd’hui que nous pourrons nous qualifier de “riches” mais nous touchons un peu plus de 50$ chacune pour 8h de travail, rien de merveilleux mais bon, c’est une première journée !

    J’en entends déjà certains dire que ce n’est pas si mal pour un début, ah mais non, ne pensez pas que nous nous sommes bien débrouillées, en fait nous ne gagnons que 30$ chacune et nous bénéficions d’un gentil cadeau. Je m’explique… Parmi nos collègues, il y a deux Australiens, du fin fond de l’Australie si on a bien compris, mais à coup sûr îvres !

    Bref, ils travaillent une bonne partie de la journée et à notre pause, ils nous disent que ce soir ils toucheront leur argent blablabla et je leur dis que non, que dans cette ferme, on est payés le vendredi de la semaine suivant la semaine travaillée. Ils font des gros yeux et vont parler à Peter, le fermier.

    Peter leur confirme mes dires, ils nous annoncent qu’ils partent car ils ont besoin d’argent tout de suite. Ils nous disent de réclamer les boîtes qu’ils ont faites car ils ne veulent pas que l’argent soit donné à la ferme. On n'a aucun liquide sur nous, on ne peut même pas leur donner quoique ce soit. Ils s’en vont, il nous reste deux heures à faire mais nous n’avons plus aucune motivation, nous sommes un peu tristes de ce qui vient de se passer et on les trouve vraiment gentils (l’un d’eux me file son numéro de téléphone et me dit que si l’argent de leurs boîtes ne nous était pas donné, il viendrait casser les dents au fermier ).

    Pendant cette journée, je parviens à me couper assez fort avec mon sécateur (Nassim me nettoie le doigt avec un grain de raisin (« car l’eau fait saigner ») et le timide m’apporte gentiment un pansement ), Jess avale une mouche et manque d’y rester…

    Constat sympathique de la journée (constat commun avec Jess) : on comprend un campagnard australien bourré, youhouuuuuuu !!!

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    Ma décision de la veille était que s’il pleuvait ce matin, je partais et que si le temps était bon, je restais, il semble que ma place soit dans un train pour Melbourne aujourd’hui… Jessie veut rester mais après réflexion, elle se dit elle aussi que le travail ici est trop irrégulier et qu’elle ne va pas résoudre ses problèmes d’argent ici. En plus, les gens qui restent sont peu nombreux et ne sont pas devenus ses meilleurs potes il faut bien le dire, nous partons donc pour Mildura.

    Je dis à bientôt à Jess, sur la côte est sans doute… On se dit qu’on vient de vivre une drôle de parenthèse dans notre aventure, qu’on a l’impression d’être parties respectivement de Melbourne et de Cobram il y a au moins deux semaines (alors que ça fait quatre jours), vous savez je crois qu’on a vécu quelque chose de très particulier car souvent lorsqu’on entend parler de fruit picking, il s’agit de grosses fermes avec plein de travailleurs, avec de l’ambiance et dans notre cas, ça n’avait rien à voir, je me suis vraiment sentie dans “cul de sac” de Douglas Kennedy, avec Jess on s’est même demandé si on était pas arrivées chez des fous tellement c’était en décalage avec tout.

    Bref, même si j’ai par moments très mal vécu ce pourtant court séjour, je ne regretterais jamais d’y être allée, pour l’aperçu outbackien que ça m’a donné et pour l’expérience que ça m’a apportée – je me suis découverte bien plus fragile que ce que je pensais l’être...