Bientôt trois ans déjà que je suis arrivé au pays des castors, l'occasion de repasser par ici vous faire un petit retour. L'histoire s’arrêtait à l'obtention de mon permis de travail via le
Yukon Nominee Program et l'envoi de mon dossier pour la RP il y a deux ans. J'étais donc toujours dans une maison en colocation dans la capitale yukonnaise.
L'école de l'Immigration au pays du sandwich
Alors que l'immigration est un quasi gros mot en France, se mettre dans la peau de « l'autre », du migrant, a été une expérience pour le moins enrichissante. Grâce à ce fat-food j'ai eu la chance de subir une formation approfondie et accélérée. L'équipe de travail se composant d'un japonais, un coréen, 27 philippins et un français, les mots travail et immigration deviennent intimement liés. Tous en attente, en cours de processus pour la RP mais pour des raisons parfois diverses. Les raisons économiques motivent l'essentiel de mes camarades philippins, faire le «sacrifice» de partir dans le grand nord et son hiver éternel pour un salaire rêvé de 12$ permet de faire vivre la famille encore au pays. A leurs yeux, le migrant venant du pays de la Eiffel Tower et du french kiss reste une totale énigme qu'ils appelleront Napoleòn. Mais ce grand pays, bien que sans tour Eiffel, est connu pour accueillir chaleureusement et simplement les migrants : «Un passeport acheté, le deuxième offert» certains disent-ils en rigolant.
De l'autre coté du comptoir l'essentiel de nos clients sont des habitués. Certains n'ont même pas besoin d'énoncer leur commande. Si le titre du métier est sandwich artist, nous sommes pour beaucoup de nos clients bien plus que des artistes cela se voit dans leurs yeux quand il nous regarde poser vigoureusement les tranches de tomates presque trop parfaites pour être vraies. Pour eux un sandwich qui coute plus d'une heure de travail de ce «pauvre» artist n'est pas grand chose, et il faut avouer que la sympathie et le sourire sur le visage de mes collègues n'y est pas pour rien dans la fréquentation du «restaurant». Nombreux sont les clients qui envoient des mails à la maison mère pour nous féliciter. Surement les joies de vivre dans une petite communauté du nord.
Passés ces clients fortement majoritaires nous avons également régulièrement à faire aux bons franchouillards de base (râleurs pardon). Ceux qui nous crient à la figure « Vous venez voler nos jobs », « Retournez dans votre pays ». Un discours qui n'a définitivement pas choisi d'oublier ce petit coin perdu d'un pays soit-disant épargné. Étant entendu bien évidemment que travailler dans un fast food est dans l'échelle des jobs comparable à la France (en dessous de la première marche donc), et que rares sont les canadiens «pure souche» rêvant d'une carrière chez le roi du sandwich au dessus de 60e parallèle. Ces clients ne semblent malheureusement pas réaliser que sans ces «voleurs de jobs» ils seraient obligés de se faire eux même leurs sandwichs.
Mes collègues de travail prennent ça avec le sourire (dangereusement contagieux) la plupart du temps, mais je les ai vu pleurer aussi. C'est toujours déroutant de faire un job, considéré ingrat, d'y mettre tout son cœur et de s'en prendre plein la figure. Mettez vous à la place deux secondes d'un père de famille qui laisse sa femme et son fils au pays qui fait du sandwich 8h par jour 6j/7 se faisant insulter par quelqu'un à qui il doit dire merci et montrer ses belles dents blanches. Comment avec ce genre de réaction peut-on blâmer le migrant de se tourner vers les siens et une certaine forme de communautarisme ?
De mon coté j'arrive à en faire abstraction pour éviter de couper le client en tranche de 6 pouces. J'avoue parfois avoir envie de faire ressortir mon accent et mes insultes provençales pour lâcher toute ma haine sur ce client mais l'uniforme me l'interdit. Parce que oui plus que tout j'aspire à rester au Canada, je n'en conserve pas moins mes origines et la bonne mère a des pieds bien assez grand pour ses petites fesses. Ma blancheur dans ce milieu m'aura permis d'entendre des « Mais tu es blanc, qu'est ce que tu fais là ? », « Merci mec, le meilleur sandwich que j'ai jamais mangé ! Tu es le premier blanc à nous faire notre sandwich depuis notre trip ». Ca me dégoute tout autant mais avec le sourire (forcé), au moins mes camarades ne sont pas en premières lignes.
Après de nombreux jobs, cette expérience de travail restera certainement la plus mémorable. Le boulot n'était pas des plus valorisants mais l'expérience humaine bien plus riche qu'espérée. Passer de développeur dans le monde de la carte vitale en Provence pour atterrir vendeur de sandwichs de fast food pas loin du cercle polaire ne se situe pas vraiment dans les schémas classiques et attendus d'évolution de carrière certes. Mais enlevés l'uniforme et la casquette il reste que je considère avoir participé à ma plus belle école de vie dans le monde du travail. Au diable l'évolution, je vis pour apprendre.
RP, démission, retour en France
Le deal était ainsi, j'étais clairement à ce post pour ma RP. A sa réception la patronne me tape dans les mains en criant "LIBERTéééééééééééééééé", William n'aurait pas fait mieux. Mais je décide de rester travailler le temps des fêtes avant de rentrer en France. Je suis parti en disant que j'allais faire une petite balade d'un an au Canada, je reviens avec un an de retard et résident permanent.
L'angoisse sera le sentiment dominant du voyage... Partir du Yukon dans lequel je suis coincé depuis 1an et demi, en cette magnifique journée d'hiver pour arriver en survolant Berre l'étang (mais surtout ses raffineries)... non, l'image ne passe pas... Le survol du pays me rappelle a quel point la densité de population a toujours été une raison importante de mon départ. Mais la France est belle, je regarde la carte indiquant notre position avec excitation. Que de belles régions, de la bonne bouffe... hmmmmm je sens déjà l'odeur d'une bonne vieille tome de montagne entourée de charcutaille (de la vraie).
J'ai tellement de chose à raconter, en dehors de quelques articles dans un blog je ne donnais pas de nouvelles aux proches... Par ou commencer ? J'ai l'impression d’être parti hier, que rien a bougé pendant toutes mes « aventures ». TF1 est toujours là. Je me réjouis de retrouver mes proches, là aussi rien n'a changé nous avons juste pris un coup de vieux. Je me soule à radoter des « vieilles » anecdotes canadiennes aux uns et aux autres. Chaque histoire est une aventure tellement personnelle qui devient fade une fois racontée. Chaque jour passé au chaud à la maison familiale est un jour de loupé là bas, chez moi... Le nord me manque, ma hache, ma pile de bois et savourer ma liberté, enfin !
Un passage au ski dans les Alpes me remontre la beauté des montagnes. En France on les parcourt par des routes sinueuses, il y a des stations un peu partout dans des paysages magnifiques. Nous sommes nés avec ça, cette beauté devient presque une banalité. Au Yukon, les routes sont droites, les montagnes au loin.
1 mois ça passe vite, j'ai l'impression de ne pas avoir dit l'essentiel à mes proches. Ce n'est qu'au moment du départ que me reviennent tous ces moments de solitude à penser à eux et je retourne vers cela pour une durée indéterminée.
Retour au Yukon... pour de bon
A ce moment il me reste environ 6000$ et 1000e, je paie toujours pour ma chambre à Whitehorse un loyer que je considère « demi-tarif » vus les prix habituels du coin. C'est le mois de février, il reste un peu moins de 3 mois d'hiver. J'ai dans mes plans un petit trip de canot pour la fin du printemps avec un ami de l'Abitibi qui vient chaque saison travailler au Yukon, d'ici là je dois me transformer en vrai résident yukonnais. Voyant venir les grosses dépenses arriver je décide de retourner faire du sandwich où j'étais le bienvenu.
Suit achat de voiture, après tout ce temps en vélo ou à pied, c'est un évènement important. C'est non sans difficulté que je parviens à l'assurer et obtenir la tant désirée plaque du Yukon. Je pars directement fêter ça avec un petit trip de 500km et du camping. 1 ans et 4 mois, « coincé » à Whitehorse, à travailler 50 heures semaine sans avoir pu profiter (ou très peu) de ce pourquoi j'avais fait tout ça : un immense terrain de jeu à découvrir qui m'émerveille chaque fois d'avantage et qui me retient inexplicablement. Je peux maintenant parcourir ses routes par mes propres moyens, c'est une grosse première réjouissance.
Les derniers achats d'équipement pour la petite sortie en canot. Nous emprunterons la Teslin river puis la Yukon river jusqu'a Dawson city soit environ 800Km. Des petites marches, sessions pêches, du camping sauvage et quelques coup de rame seuls au milieu de nul part - grosse deuxième réjouissance. La vie dans les bois peut facilement être rêvée, fantasmée mais elle est tout ce qu'il y a de plus basique : feu, bois, eau, abris, riz/pâte. L'amour de ces choses essentielles et s’accommoder d'un manque de confort certain ceci sans compter les moustiques. Les récompenses sont là, de la vie sauvage tout autour de nous (sans compter les moustiques). Un peu trop proche quand un ours grogne en face de notre tente, un moment redouté, qui parait certainement surfait raconté mais qui restera un souvenir inoubliable pour deux compagnons d'aventures.
Si beaucoup descendent la rivière rapidement nous choisissons la longueur. La route (ou plutôt l'autoroute) est chargée d'histoire des vieilles cabanes en ruines aux petits villages fantômes. Nous faisons durer le plaisir mais le courant nous mène finalement à destination : Dawson. 2 ans que j'attendais ce retour mais cette année je débarque en canot. C'est assez pour moi pour compter cela comme une grosse troisième réjouissance.
J'ai du mal à me remettre de ces magnifiques vacances, tant attendues mais déjà terminées. Les nouvelles en villes pendant cette première semaine sont : « un ours a saccagé la tente d'un campeur » bin oui je sais c'était la tente de mon voisin de camping, « un grizzly a tué un moose sur le terrain de golfe » ah c'était pas loin... ok je suis bien toujours au Yukon. J'apprends également la disparition puis la mort d'une personne qui a fait la descente de la rivière dans les mêmes dates que nous. Des drames arrivent chaque année sur la rivière, on le sait en faisant ce genre de trip mais j'en prends une autre mesure ce jour là.
Dawson : Des Cheechakos et des Sourdoughs
Un Cheechako est un nouvel arrivant dans le nord. Celui qui ne sait pas conduire, ne sait pas se servir d'une hache, démarrer un feu... c'est celui qui vient du sud. Passé un an on devient un Sourdough.
Cette petite distinction peut paraitre primaire. Pour moi elle a pris son sens après avoir passé un an ici : un cycle complet des saisons. D'avoir connu la descente vers l'hiver, la longueur de l'hiver, la presque sortie de l'hiver, la saison de la boue puis celle des moustiques et on recommence.
Si au premier plan la chaleur des locaux est toujours aussi remarquable qu'a ma première visite, ma position de non local mais pas tout à fait que saisonnier me laisse voir ce « clivage » sous un autre angle. Dawson, cette petite ville d'un peu plus de 1000 âmes perdues dans le nord où les locaux, à peine sortis d'un hiver enregistrant record sur record de froid voient débarquer tous ces bus de touristes, ces voyageurs/travailleurs en backpack. Les touristes regardent parfois les locaux comme des bêtes de spectacle : « Est-il sincèrement réellement possible de vivre ici à l'année ? ». Les saisonniers-fêtards échangent avec les locaux avec une certaine envie, voir admiration mais ne comprennent pas qu'ils ne fassent pas plus la fête.
Un local, Sourdough de fait et les dawsonites sont non des moindres, sait que le laps de temps entre deux hivers est court, et qu'il ne peut faire la fête quand son bois, ses provisions, sa viande sont prêts pour l'hiver. Il a d'autre chose à penser, et n'a pas besoin de leçon ni sur le comment fêter ni sur l'âme particulière de la ville. J'ai entendu des locaux me dire à propos des saisonniers : « Ils ne comprennent pas bien que la vie est dure ici ». Ce « dure » n'a pas le sens d'une quelconque plainte, mais vivre ici exige réellement des efforts, tellement qu'il faut même aimer en fournir et en fournir encore.
Il y a également toutes les activités autres que les bars de Dawson. Les champignons, les baies, la pêche, la chasse - les plaisirs immédiats et les provisions pour l'hiver. Dans toute collecte il y a sa part personnelle et la part à offrir. Seul un Cheechako pourra refuser le cadeau en ignorant l'offense que cela représente. Le généreux Sourdough se vantera toujours que cela représente ce qu'il a de meilleur à offrir. Mes très sélectives papilles gustatives lui donne raison (sauf pour le museau d'orignal peut être).
Pendant cette saison je travaille dans le même restaurant que deux ans auparavant. Je passe l’essentiel de mon temps libre avec les moustiques à lire. Notamment
Early days on the Yukon de William Ogilvie,
Captain Jack McQuesten Father of the Yukon de James A. McQuiston et
Campbell of the Yukon de Clifford Wilson. Je les dévore, ils sont bien plus intéressants et chargés de détail que tous les classiques livres du gold rush.
Ayant quelques contacts, le statut de quelqu'un de confiance (cela sous entend sans problème avec l'alcool) et débrouillard (je sais dans quel sens tenir une hache) beaucoup de portes s'ouvrent à moi pour faire mon trou ici. Dans une petite communauté les informations circulent très vite et sont disponibles en live au café du matin avec rediffusions à la bière du midi et celle de l'après midi. Il est possible qu'on en sache plus sur vous que vous-même et ce avant même d'avoir eu le temps de vous présenter. J'ai encore à faire à Dawson mais c'est assez pour cette année. Les rouges de la toundra de Tombstone park me rappellent que je n'ai toujours pas ramassé mon bois pour l'hiver sans compter que j'aimerais aller à la cueillette à l'orignal. J'avais décidé de garder ma chambre à Whitehorse, ça fait 5 mois que je dors dans ma tente dans les bois au milieu de ces insectes sanguinaires, il est temps de retrouver un peu de confort et de sécurité pour refaire le plein de sang.
Entre ville et bois
Dawson est déjà une grande ville pour moi, Whitehorse et ses 25 000 hab. me parait gigantesque. Le retour en ville après tant de temps passé dans le bois m'est toujours aussi désagréable. Je suis loin d'être un acheteur compulsif mais le désir de consommer devient énorme. Quand la flemme ou l'envie surviennent en ville il suffit de faire quelques pas (les plus fainéants prendront la voiture) de pousser une porte et de tendre son billet (ou son morceau de plastique) et ceci sera censé nous combler. Quand la flemme survient dans le bois on se met des coups de pied au cul si c'est l'envie on apprend à s'en passer, on en rêve et on remet les choses à leur juste valeur. Mais on se retrouve comblé par la nature et des petits détails qui sont, selon moi, les réels délices de la vie et ne coutant souvent qu'un peu d'huile de coude.
Mais je ne peux pas nier qu'il soit plaisant de se retrouver dans l'insouciance du confortable petit chez soi. Nous sommes des animaux qui cherchons à se la couler douce. Nous avons tout développé pour nous simplifier la vie et, dans la mesure du possible, gagner du temps. Tellement que l'essentiel y a été perdu. Je n'ai pas le temps de rêvasser sur ces sujets, il me faut un travail et vite !
Un ami musher à une centaine de kilomètre de la capitale yukonnaise me propose un boulot de construction pas loin de chez lui. C'est avec joie que je re prépare mon sac seulement une semaine après être arrivé. Depuis mon départ en canot tous les colocs ont changé, je n'ai pas eu vraiment le temps de faire connaissance. Pour ces petits Cheechakos je suis le coloc qui n'est jamais là.
Je reste dans une tente (oui encore) le temps des travaux en regardant l'hiver difficilement arriver cette année. Je vais affronter mon troisième hiver yukonnais mais je comprends vite que les deux précédents en ville ne comptaient pas vraiment. Nous continuons les travaux jusqu’à la fin novembre. J'adore travailler le bois, la construction et ce depuis mon plus jeune age. Je fais donc un boulot que j'adore mais qui me sera probablement très utile personnellement. Évidemment travailler dans de la grosse neige et par -30°C toute la journée (nuit plutot) n'était pas dans mes habitudes mais je n'apprécie que trop ces petites touches d'originalité.
Pendant ces travaux je ne peux m’empêcher de retourner de temps en temps chez moi en ville. Là ou je reste/travaille il n'y a ni eau ni électricité. Une petite douche de temps en temps ne peut pas me faire de mal. Pour mes colocs je deviens donc celui qui « quand il est là c'est qu'il pue ». Pour ma part, n'ayant pas d'odorat je constate simplement comment colle le t-shirt à la peau.
La vie en cabane
Mon ami musher m'a demandé de garder ses chiens un mois pendant la Yukon Quest. Les travaux finis, il me faut trouver une occupation d'ici là. De récents contacts me proposent de garder leur cabane, maison, chiens voila donc mes vacances d'hiver. Seul au fond des bois dans une cabane, toujours sans eau et sans électricité, parfois même sans bois de chauffage préparé, entouré de chiens.
On apprend en vivant ainsi le prix de l'énergie, le poids et la valeur de l'eau, à faire une bonne vaisselle minimaliste, l'importance d'une lampe frontale... J'ai toujours eu une profonde passion pour le bois, quand il s’agit de bois de chauffage mes tendances ultra addictives prennent le dessus. Une fois les taches canines effectuées, je passe mon Noël et jour de l'an à jouer avec une tronçonneuse et une hache jusqu’à 3 heures du matin au fond du bois yukonnais. Ça peut faire rire ou rêver mais pour moi, la neige jusqu aux cuisses, éclairé à la frontale, par des températures qui transforme l'huile d'hiver en espèce de chewing-gum, je ne fais que chercher, abattre, couper, splitter, stocker un carburant plus nécessaire et vital que mes pâtes. Considérant passer mes meilleurs vacances de Noël ainsi, mon but est de faire assez de bois pour que la propriétaire puisse finir l'hiver à son retour.
La vie en cabane quand l'hiver devient plus vigoureux, tout tournera mal. C'est une loi inhérente dans le nord. Il convient donc d'être capable de trouver des solutions pour des problèmes tout au long de sa journée. « Mais qu'est ce que tu fous de tes journées tout seul dans ta cabane ? » me demandent certains amis. Imaginez vivre dans un monde où la loi de Murphy devient la norme. Vous voulez ouvrir votre porte ? La clé se cassera dans la serrure. Vous voulez remplir votre bidon d'eau ? Le bouchon sera gelé. Vous voulez démarrer votre voiture ? la batterie dira non point d'exclamation. Vous voulez brancher votre voiture à un générateur ? Le cordon se brisera... Ceci représente une matinée proche du classique et suffisante pour occuper mes deux mains et mon demi cerveau. C'est aussi là que le concept de Cheechako et Sourdough prend son sens, quelqu'un qui n'a pas connu ça ne connait pas la vie dans le nord.
« Tu nous fais trop rêver avec tes aventures, j'aimerai trop vivre ça » me disent-ils également. Cela raisonne dans ma tête pendant que je déneige pendant plus de 5 heures simplement pour aller remplir mes 8x20L d'eau, les pieds congelés malgré toutes les précautions ou quand je me retrouve à tirer un traineau de 160Kg dans la grosse neige pour rentrer toute cette eau au chaud. Certaines mésaventures auraient la capacité de plonger bon nombre de personne dans une grande panique et suffiraient à dégouter du nord.
Mais que je le veuille ou non, mes « aventures » suscitent une certaine envie auprès de mes proches. Le grand classique du gars qui tombe amoureux du nord. L'isolement, la cabane dans les bois, la solitude, la nature... tous ces thèmes vendeurs... J'en rêvais, j'y suis. Ça a un cout, je peux et sais le payer. Cette vie sur du très long terme je doute encore un peu quand je suis en cabane, mais redeviens plein de certitudes après 1 heure passée en ville.
Vers un monde de chien
De services rendus en services reçus j'en suis là. Je n'avais pas prévu de tomber dans le monde des chiens de traineau, pas plus que ce coup de foudre pour le nord d'ailleurs. Plus que ne pas le prévoir je m'étais refusé d'entrer là dedans. J'ai un énorme problème avec les chiens : je les adore et je m'attache. Je sais ce qu'est d'avoir un chien animal de compagnie, mais je préférais garder ma vision du petit toutou de maison que d'être confronté à ces pauvres petites créatures dans le froid et la glace attachées à des chaines. J'ai aussi connaissance des inconvénients d'une telle passion : pas de vacances, pas un seul jour d'absence, beaucoup beaucoup d'argent, beaucoup de temps, beaucoup d'effort. Ce future probable me fait peur, je suis heureux de pouvoir encore réfléchir parce qu’une fois lancé l'engagement serait total.
La première sortie avec les chiens me coupe le souffle, je le redoutais. Températures idéales, levé de soleil magnifique et lumière nordique dans les bois tiré par des dieux chiens, que du bonheur. Je regrette déjà d'avoir tant aimé cela. Musher c'est avant tout un style de vie, la vie de cabane dont je parlais et raffole. Jusqu’à maintenant je n'expérimentais que cela sans le plaisir du traineau. Mais il est un moyen de locomotion extraordinaire et silencieux pour explorer les beautés du Yukon.
Je repars à nouveau la semaine prochaine pour un mois, seul à devoir entrainer ces athlètes de chiens. Dans un sens l'idéal serait que ça se passe mal pour me décrocher de ce truc, mais j'ai bien peur de ne as avoir le choix et d'être dans l'obligation de faire en sorte que ça se passe bien...
Qui sait, c'est peut être à traineau qu'on mon armée de castor reprendra la totale possession du pays mais ceci est une autre histoire.