1. #1
    Avatar de Delph
    Delphine 43 ans

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    Par Pierre Foglia
    La Presse https://www.cyberpresse.ca/article/2...034/CPOPINIONS


    Depuis quelques semaines, je nous entends parler des immigrants, nous interroger sur la qualité de l'accueil que nous leur réservons, un autre débat à ras les pâquerettes, pas de remise en question du modèle d'intégration, l'accueil au sens premier, bonjour, bienvenue au Québec. C'est quoi votre accent? Ou alors : si t'es pas content, r'tourne d'où tu viens.

    Si vous saviez comme l'immigrant n'entend rien de ce que vous lui dites, si vous saviez comme son monde est loin du nôtre, les premières années du moins. Si vous saviez comme « société ouverte « ou «modèle d'intégration» sont des concepts qui ne lui disent rien. Si vous saviez. Mais de toute évidence vous ne savez pas. Tiens, juste pour le fun, c'est quoi un immigrant?

    Je savais que vous alliez dire ça. Non, ce n'est pas quelqu'un d'un autre pays qui vient s'installer ici.


    Un immigrant est d'abord un émigrant. En dépit des apparences, il n'arrive pas. Il QUITTE. Et il va rester dans cet état «de partance» pendant plusieurs années. Vous ne pouvez pas l'aider. Le temps qu'il mettra à s'intégrer ne dépend pas du «ici», mais du «là-bas», ce là-bas qu'il pensait quitter, mais qui l'a suivi.

    Il a satisfait à toutes les demandes, il a passé la dernière visite médicale, il est enfin reçu, élu serait plus juste, il fait ses adieux, adieu parents, adieu amis, adieu pauvre vieux pays... Il s'en va vers la modernité. Il s'en va vers son avenir. Il s'en va au Canada.

    Il arrive. S'installe. Et découvre quoi au bout de six mois? Que la réalité n'est pas tout à fait comme dans son rêve? Oui, mais ça il s'y attendait, il n'est pas si nono. Ce à quoi il ne s'attendait pas, par contre, ce qu'il découvre, stupéfait, c'est que ce pays qu'il pensait avoir quitté, la Russie, le Liban, la France, le Maroc, le Sri Lanka, ce pays l'a suivi au Canada. Un an, deux ans, trois ans plus tard, il n'est toujours pas d'ici. Dans le plus banal des gestes du quotidien, quand il mange, quand il écoute le téléjournal et se demande où est La Tuque, quand il n'en a rien à foutre que le Canadien ait gagné 4 à 2, il est encore de là-bas. Que vous soyez gentils avec lui ou pas ne l'empêchera pas de vous haïr parfois, de trouver que vous mangez mal, que vous élevez vos enfants tout croche et que vous êtes racistes : il était ingénieur là-bas, ici il conduit un taxi.

    Cela lui prendra des années pour muer, pour sortir de sa vieille peau de Russe, de Libanais, de Français, de Marocain. Vous n'y pouvez rien. Pouvez caresser une chenille du bout du doigt, lui dire t'es laide, lui dire t'es fine, cela ne la fera pas devenir papillon plus vite.

    Un matin, longtemps, longtemps après son arrivée à l'aéroport, l'immigrant débarque enfin. Bienvenue! S'en suit souvent une période de grande exaltation, tout ce qui l'horripilait le ravit, il se met à la poutine, achète sa première paire de raquettes, va en vacances au Nouveau-Brunswick, et dans certains cas extrêmes écoute Virginie. Cette phase gaga-Canada ne dure pas très longtemps. Un autre matin, il se réveille en sacrant, fuck! Moins 25, quel pays de merde. Il est désormais comme vous et moi, mais surtout comme moi, à cause de l'accent.

    Vous êtes le journaliste qui écrit dans La Presse?

    Oui.

    Ah ! tiens, je vous imaginais avec une autre voix.

    Quarante-six ans plus tard c'est fatigant, mais c'est pas du racisme.

  2. #2
    Avatar de Sateen
    Christelle 43 ans

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    C'est troublant de vérité
    Jadore! Merci Delph!

  3. #3

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    rien de nouveau sous le soleil, le journaliste énonce juste des évidences à mon avis.

  4. #4

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    Emigrer,



    C'était sous Ceaucescu. Virgil avait décidé de fuir le pays à n'importe quel prix mais il dit aujourd'hui que s'il l'avait connu, il ne l'aurait pas payé, ce prix. S'il avait su, d'abord, que pour passer de l'Est à l'Ouest, il aurait dû se glisser sous un wagon et y perdre quasiment l'ouïe; que pour passer d'Allemagne de l'Ouest en France, il faudrait, parcequ'il n'avait pas d'argent pour payer le billet, se cacher dans une cuve qui s'est écroulée au premier contrôle, courir dans les wagons, s'échapper comme un criminel : mais ça, dit-il, ce n'est encore rien.

    Ce n'est rien encore, en effet. Il décide de partir au Canada. Je dis aux Canadiens d'écouter cette histoire. Mais il n'a aucun passeport; il n'a presque pas d'argent. Prendre l'avion? Rêve de riche. Le bateau? Impossible. Que fait-il? Avec d'autres compatriotes, il s'abrite dans un container qui doit partir sur un paquebot à Montréal. Ils sont une douzaine à se glisser, avec quelques provisions de chocolat et d'eau, dans un container de dix mètres de long, qu'on hissera sur le bateau dans quinze jours. Oui, quinze jours. Il faut vivre dans ce container pendant quinze jours.
    "Un matin, ils ont soulevé le container et l'ont embarqué. C'était un équipage russe. La traversée a commencé. On savait qui s'ils nous trouvaient, ils préféreraient nous jeter à la mer que de payer aux autorités canadiennes les amendes pour passagers clandestins, alors on ne bougeait pas, on attendait l'arrivée. On priait.
    Mais il y eu soudainement la tempête. Comme notre container était à l'arrière du bateau et n'était pas bien attaché, je l'entendais grincer et bouger avec les vagues. Je nous voyais déja tomber du bateau, couler dans notre container entre l'Europe et le Canada. J'ai décidé que c'était trop dangereux. Il fallait sortir. Peut-être qu'ils nous tueraient. Mais j'en tuerais avant. Je pensais : celui qui voudra me tuer, je lui mordrai la gorge comme un chien, et je l'entraînerai avec moi."
    Ils sortent un à un et, par bonheur dirait-on s'il ne s'agissait pas d'humanité, on les épargne; les Russes les remettent aux autorités canadiennes qui les menottent. Cela leur semble des gants de velours. On les nourrit, on les loge. Ils demandent l'asil politique. Un avocat s'occupe de Virgil. Il lui faut ensuite travailler pendant deux ans pour payer des honoraires de 25 000$CAN. Aujourd'hui il a tout payé. Il est libre. Il est plombier. Il est canadien. Il m'as appris ce qu'émigrer veut dire.



    extrait de Guide de survie des Européens à Montréal, Hubert Mansion, Agence Serendipity, Montréal, 2006

  5. #5

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    Bon résumé mis a part^^ je verrais jamais un russe dire : fuck , il fait -25 ^^

    Merci pour ce lien