Au départ j’étais sceptique. Selon moi, visiter une favela avait un côté voyeuriste qui me mettait très mal à l’aise, je ne voulais pas faire cette excursion.
Mais autour de moi, beaucoup l’avaient fait et avaient adoré. Alors je me suis laissée convaincre et je ne l’ai pas regretté !

Rocinha fait partie des quelques favelas pacifiées de Rio de Janeiro, qui sont toutes situées dans le sud de la ville. Les autres, celles du nord, ne le sont pas et sont vraiment dangereuses, donc impossibles à visiter.
Le fait qu’elles soient pacifiées ne signifie pas que la violence ne peut pas exister ou qu’il n’y a plus de trafic. Seulement, il semblerait qu’il y ait un accord entre la police et les gérants de la favela : ces derniers font en sorte de maintenir le calme et l’ordre dans la favela, tandis que la police se cantonne aux grandes rues de la favela sans jamais aller dans les labyrinthes, appelés becos (là où les trafics semblent avoir lieu).
Pour autant, malgré cet accord, les taxis sont interdits dans Rocinha pour empêcher la police de faire des interventions « camouflées » dans des taxis ou Uber (c’est déjà arrivé).

Par ailleurs, contrairement à ce que je pouvais penser au départ, les habitants de la favela sont contents de voir des touristes parce que, tant que nous sommes là, cela veut dire qu’il n’y aura pas de descente de police.

La visite de Rocinha

Cette visite à Rocinha était proposée par mon hostel et était conduite par Leandro, habitant de la favela depuis trois générations.

Petite précision : il est techniquement possible de se rendre à Rocinha sans guide mais ce n’est vraiment pas conseillé car la très grande majorité de la favela est constituée de labyrinthes dans lesquels, à moins d’y habiter, il est impossible de s’y retrouver. En plus de cela, vous passeriez à côté de toutes les explications qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement de la favela.

Nous avons commencé notre excursion en partant de notre hostel en moto-taxi, moyen de transport moins économique qu’un Uber mais plus rapide et plus sympa si on aime les petites sensations.
En arrivant en bas de la favela, nous avons attendu Leandro et nous sommes repartis avec nos moto-taxis, direction les hauteurs de Rocinha. J’ai été surprise, mais je n’ai pas eu le droit de remettre mon casque pour monter dans la favela et en réalité personne n’en porte. C’est très certainement pour permettre aux gérants de la favela de s’assurer que nous ne sommes pas des policiers qui font une intervention.
En dehors de ce détail, le moto-taxi est vraiment la partie super sympa de la visite. Je n’en avais jamais fait de ma vie et j’ai adoré ! On monte dans la favela avec tous les autres moto-taxis autour de nous, on slalome entre les voitures et nous avons même évité de justesse un policier qui se tenait au milieu de la route. Lui n’a pas eu l’air perturbé de passer aussi près de la mort, moi j’ai eu un petit coup d’adrénaline quand même.

Après ce trajet, qui dure entre cinq et dix minutes, nous sommes arrivés au niveau d’un restaurant depuis lequel nous étions censés avoir une belle vue sur Rocinha. On ne nous avait pas menti, la vue était impressionnante ! Nous avions une vue imprenable sur toute la favela et une partie de Rio de Janeiro, et c’est à ce moment qu’on prend conscience de l’étendue de Rocinha.

     

Il faut savoir que Rocinha est la plus grande favela d’Amérique du Sud avec 300 000 habitants, le tout divisé en 34 quartiers. Au sein de Rocinha il y a deux routes principales, le reste est composé des fameux becos. Rocinha est donc principalement un labyrinthe géant dans lequel il est impossible de se repérer à moins d’y avoir grandi.

Après en avoir pris plein la vue, nous sommes descendus à pied pour visiter un peu les rues, les becos, et un peu mieux comprendre l’organisation de la favela. Leandro nous a donné beaucoup d’explications sur le fonctionnement de plein de petites choses de la vie courante car, du fait de la géographie de la favela, ils ont dû s’adapter.

Quelques exemples

Malgré le bazar apparent, les quartiers sont plutôt bien organisés pour que cela soit vivable pour tout le monde :

  • Pour le nettoyage, il y a une personne par quartier qui est désignée pour s’occuper du nettoyage des becos mais aussi des poubelles.
  • Les poubelles ont un fonctionnement particulier car, par quartier, il n’y a qu’un seul endroit pour les mettre. Elles s’entassent donc très vite et il faut s’en occuper plusieurs fois par jour.
  • Les personnes qui habitent dans les becos n’ont pas d’adresse. Il y a donc un système de boîte aux lettres commune pour chaque beco et une personne connaissant bien les habitants de son quartier est chargée de faire la distribution.
  • Pour déménager, impossible de faire venir un camion jusqu’à sa porte quand on habite dans un beco. Il faut donc tout transporter soi-même. Pour cela, et surtout pour les objets lourds, des amis viennent aider en se mettant en position de relais depuis la grande rue, jusqu’à la maison.
  • Dans un registre un peu plus triste, la vie dans la favela est compliquée pour les personnes âgées car les becos sont en pente et constitués d’escaliers qui deviennent de plus en plus difficiles à emprunter avec les années. Les personnes âgées deviennent donc peu à peu prisonnières de leurs maisons. Heureusement, la solidarité est très présente dans la favela. D’autres habitants se chargent parfois de faire sortir une personne âgée en la transportant sur une chaise.

Ensuite, nous avons fait du cerf-volant, activité plutôt étonnante je dois dire mais très sympa ! Et encore plus étonnant, c’est vraiment un loisir des habitants de la favela, il y a de nombreux cerf-volants qui volent dans le ciel.
Deux objectifs : s’amuser ou faire une bataille de cerf-volants dans laquelle le gagnant est celui qui a réussi à couper le fil de l’autre. Ces combats sont “tellement sérieux” qu’ils appliquent un produit sur le fil pour le rendre plus coupant.

Après avoir fait s’écraser le cerf-volant plusieurs fois et assisté à deux coupages de fil par Leandro, nous avons fini cette visite par une bonne glace à l’açai, histoire de terminer sur une note sucrée.

En tout, nous sommes restés environ trois heures dans Rocinha, la durée idéale pour avoir le temps de faire le tour sans se presser.

Qui gère les favelas ?

Les favelas sont dirigées par deux types de personnes : les trafiquants de drogue et les milices. Pour les trafiquants de drogue, nul besoin d’explications… Mais pour les milices, voici ce qui m’a été dit : ce sont des groupes composés de personnes ayant eu des postes au gouvernement, dans la police, etc. qui sont corrompues et pour certaines déjà à la retraite.

Comme je le disais au début, bien que Rocinha soit une favela pacifiée, elle n’en reste pas moins dirigée par des trafiquants, apparemment de drogue. Il n’est donc pas rare de voir des personnes, souvent même assez jeunes, avec des armes de type pistolets mais aussi de plus grosses armes de guerre.
Ils intègrent l’organisation très jeunes à des postes de surveillance et montent peu à peu les échelons jusqu’aux postes à responsabilités. Ces échelons se montent principalement grâce au bouche-à-oreille sur leurs compétences.
Le prochain patron est désigné par celui déjà en poste pour ses qualités d’organisation, de tir, mais aussi pour le respect et l’affection que les habitants de Rocinha lui portent. L’espérance de vie du patron est très courte à cause des guerres de gang. Elle serait apparemment de 4 ou 5 ans après son “élection”, sachant que les patrons sont généralement très jeunes. Le patron actuel aurait environ 35 ans.
Les femmes peuvent aussi faire partie de l’organisation au même titre que les hommes.

Dans toute la favela il est possible d’avoir son téléphone et de prendre des photos, sauf aux moments où on arrive à proximité d’un lieu identifié comme étant un repère des trafiquants. C’est dans ces moments que notre guide était particulièrement attentif, les trafiquants n’étant pas réputés pour leur tendresse. Nous ne pouvons pas prendre de photos car ils ne veulent pas qu’on publie des clichés d’eux ou des leurs activités qui pourraient être incriminants.
Cependant, encore une chose étonnante, ça ne les gêne pas du tout qu’on regarde leurs armes en passant, certains nous faisaient même coucou de la main.

Nous avons demandé à Leandro s’il préférait vivre sous le joug de trafiquants de drogue ou de milices et sa réponse est catégorique : les trafiquants de drogue. Pourquoi ? Parce que ces trafiquants ont grandi dans la favela, ils la connaissent et y sont attachés. Malgré leurs activités, leurs intentions vis-à-vis de la favela sont bonnes, contrairement aux milices qui ne font ça que pour l’argent que cela rapporte. De plus, les trafiquants établissent des règles claires et précises qui sont faciles à suivre contrairement, apparemment, aux milices.

Petite péripétie

Malgré la pacification de la favela, les trafiquants restent sur le qui-vive et nous en avons fait l’expérience. Au début de la visite, Leandro nous avait expliqué que pour prévenir d’un danger ou d’une mauvaise situation, les personnes travaillant pour l’organisation de la favela envoient des feux d’artifice.

Ceci étant posé, voici ce qu’il s’est passé : nous marchions tranquillement vers l’appartement depuis lequel nous allions faire du cerf-volant quand des bruits d’explosions ont retenti à quelques mètres de nous. Nous étions si près que des morceaux de feux d’artifices nous sont retombés dessus. A ce moment j’ai eu très peur parce que je ne savais pas ce que c’était ni d’où ça venait.
Puis, le temps de relever la tête, nous avons vu quasiment une dizaine de jeunes sortir d’un beco, toutes leurs armes à la main, dont un qui a calé son fusil d’assaut sur un rebord de mur, prêt à tirer. Pour imaginer la scène, nous étions dans une rue étroite, les feux d’artifices venaient de derrière nous, les hommes armés étaient face à nous. Autant dire que la tension est montée d’un cran.
Leandro nous a fait signe de continuer à marcher en direction des hommes armés, la maison que nous étions en train de rejoindre étant derrière eux.
Nous avons donc avancé d’un bon pas, nous sommes passés entre les hommes et sommes rentrés rapidement dans la maison.

Finalement tout s’est très bien terminé, ils ne s’intéressaient pas à nous mais heureusement que la menace que certains avaient repéré n’est pas arrivée, nous nous serions retrouvés en plein milieu.

Il est important de dire que, selon Leandro, c’est la toute première fois en cinq années de visites touristiques que cela arrivait. Ce n’est donc pas quelque chose de récurrent heureusement, en tout cas pour les touristes.

Ce que je retire de cette visite

Je pense que ce que je retire de cette visite à Rocinha, c’est un regard plus large sur la vie en favela. Il est important d’aller au-delà des clichés pour les déconstruire et se faire sa propre idée.
Cette visite est également importante car, même si elle permet de voir plus loin que les clichés, elle nous donne un réel aperçu sur les inégalités présentes au Brésil et sur la précarité d’une vie en favela.

En bref, j’en retire de nouvelles connaissances, un nouveau regard sur Rio et un très bon souvenir !

Flora

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