Il y a tout juste un an, j’embarquais dans cette grande aventure pour le Mexique. Remplie de rêves et de projets, j’avais hâte de découvrir la culture du pays, ses traditions, ses sites archéologiques à n’en plus finir, son architecture coloniale, ou encore son artisanat coloré. Le PVT était le format idéal pour rester longtemps sur le territoire, et idéalement trouver un boulot dans mon domaine, l’architecture et plus précisément la conservation du patrimoine. Je n’appréhendais pas vraiment le départ, ayant vécu quelques années auparavant tout au sud de l’Amérique Latine, au Chili. Mes repères n’étaient pas chamboulés, la langue était maîtrisée, qu’est-ce qui pouvait mal aller ? L’expérience m’avait appris que tout ne serait pas toujours rose, mais que ça faisait partie intégrante du voyage. Et malgré toutes ces bonnes conditions de départ, je ne m’attendais pas à vivre un des épisodes les plus difficiles de ma vie.

Direction Monterrey

Après les premiers mois d’exploration dans le sud du pays, je décroche le boulot de mes rêves à Monterrey, dans le nord sec et aride. Conservation, restauration et investigation sur l’architecture traditionnelle du nord-est du pays. J’étais tellement heureuse par cette opportunité qui s’offrait à moi, que peu m’importait l’endroit. Mais dans le fond, je sentais que ça n’allait pas être le coup de foudre avec cette ville qu’on m’avait présentée comme très industrielle, dangereuse, un peu américanisée, et où l’on sentait la carne asada à chaque coin de rue. Pas très vendeur pour moi. Peu d’étrangers ou de touristes avaient l’air de s’aventurer là-haut. Monterrey, une des trois plus grosses villes du pays, attire d’avantage les nationaux et les migrants d’Amérique centrale, étant un pôle économique développé et proche de la frontière avec les Etats-Unis.

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Monterrey et son air pollué, depuis les montagnes.

Je suis donc partie pour la capitale du Nuevo León en mars. Cette ville n’avait rien à voir avec tout ce que j’avais pu voir au Mexique : México, Oaxaca, le Chiapas, ou encore le Yucatán. C’était une juxtaposition insensée et chaotique d’immeubles, vieux, modernes, petits, immenses, vides, luxueux, en ruine, traversés par un labyrinthe d’autoroutes contenant un flux de voitures interminable, et dans le fond, une spectaculaire chaîne de montagnes, la Sierra Madre Oriental, presque toujours cachée par la pollution de l’air. Ça me rappelait la cordillère des Andes qu’on ne voyait pas depuis Santiago du Chili, exactement pour les mêmes raisons.

En arrivant, on m’a expliqué que dans certains quartiers la pression de l’eau était réduite pour faire des économies, car il n’avait pas plu depuis des mois. L’hiver qui devait normalement apporter son lot de précipitations ne l’avait pas fait cette année.

Entre travail de rêve et début des complications

Hormis ce détail, mon boulot commence et je me sens à ce moment la personne la plus chanceuse au monde. Ma chef est une personne incroyable, et m’explique l’histoire et le contexte actuel de la ville, sous un œil critique. Pour elle, comme pour moi, Monterrey ne représente pas l’idéal auquel doivent aspirer les villes. Nous travaillons entre autre sur la documentation de l’architecture vernaculaire dans les villages alentours, ce qui me permet de sortir de la ville et d’explorer les environs, plus « traditionnels » que la métropole, de vraies bouffées d’air frais pour moi qui n’accroche pas du tout avec Monterrey. Étant sensible aux sujets de conservation du patrimoine bâti dans les villes, quelle peine c’était de voir tous les jours des maisons du centre historique démolies, ses propriétaires envoyés à la périphérie, pour construire de gigantesques tours l’appartements airbnb inaccessibles aux citoyens ordinaires, ou pire, transformer les terrains en parkings. Oui, car dans cette ville les automobilistes sont rois. Malheur à celui qui se déplace à pied. Monterrey tient d’ailleurs la première place d’accidents de voiture au Mexique depuis des années.

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Canyon asséché dans les alentours de la métropole.

Pas une goutte de pluie n’était tombée depuis que j’étais arrivée. Le gouvernement du Nuevo León nous annonce en avril que nous allons désormais avoir des coupures d’eau un jour par semaine, dans toute la ville, pour économiser les réservoirs d’eau qui étaient en train de s’assécher à grande vitesse. Ma colocataire me dit que c’était la première fois qu’ils coupaient l’eau dans le centre, là où nous habitions. A la fin du mois, une chaleur intenable se fait sentir. On était autour de 38 degrés, et n’ayant pas la climatisation chez moi, je peinais toutes les nuits à dormir. Le ventilateur allumé me donnait la sensation d’être un bout de viande sur le barbecue, et tout le monde me répétait que la chaleur n’allait faire qu’empirer. C’était difficile à imaginer.

Peu de temps après, on nous annonce que les coupures d’eau seront désormais quotidiennes et non plus hebdomadaires, de 18h le soir à 6h le matin. Un horaire très pratique pour les travailleurs qui ne rentrent pas avant 18h chez eux. Adieu les douches. Il fallait désormais penser tous les matins à remplir de grandes bombonnes d’eau pour pouvoir cuisiner, faire la vaisselle, se laver. Je me suis rendue compte à ce moment-là de la quantité d’eau que nous utilisions quotidiennement. Une chasse d’eau, c’était une bombonne de 6 litres. Une douche, j’arrivais à en utiliser la moitié, et pour la vaisselle, c’était aussi des quantités astronomiques.

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Architecture vernaculaire dans un village du Nuevo León.

A cette époque, les gros titres des medias étaient deux affaires de féminicides qui venaient d’avoir lieu à Monterrey. On disait aux femmes là-bas que c’était dangereux de se promener toutes seules. Avant mon départ, j’avais bien sûr eu droit aux inquiétudes de mon entourage, que le Mexique c’était dangereux, que je devrais avoir peur de voyager seule en tant que femme, qu’il y a les narcos, le machisme, et la police corrompue. Ayant l’habitude de voyager en solo, ces remarques ne m’avaient pas découragée, et je ne me suis jamais sentie en insécurité au Mexique, jusqu’à ce que j’arrive à Monterrey. Il y a quelques années, cette région avait connu un fort taux de violence lié au trafic de drogues. Mais tout ça s’était calmé depuis. Cependant, en plein jour dans la rue, je sentais un malaise que je n’avais éprouvé nulle part ailleurs dans ce pays : des regards pesants sur moi, et souvent des commentaires déplacés, systématiquement de la gente masculine, en plein centre-ville.

Malgré tout, mon travail me passionnait. En plus d’aimer mon quotidien, grâce à ma cheffe je me rendais dans des lieux que je n’aurais probablement jamais vu sans ce boulot. La visite de l’ancienne Hacienda del muerto, aujourd’hui en ruine, m’a laissé une forte impression. C’était une ancienne exploitation agricole faite en adobe, au beau milieu d’un paysage spectaculaire. Abandonnée depuis des décennies, ses murs s’effondraient sur eux-mêmes petit à petit et nous étions venues la documenter avec que plus rien ne reste. Dans les villages où nous nous rendions, nous avions également l’opportunité de discuter avec les habitants qui nous accueillaient à bras ouverts, afin d’en savoir plus sur les maisons que nous étudiions. Il fallait partir tôt le matin dans les villages, car la chaleur ne nous permettait pas d’être dehors en milieu de journée, même avec chapeaux, manches longues et protection solaire. Tout se mettait à fondre sous le soleil.

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Une grange de la Hacienda del muerto abandonnée.

Et ça continue…

Puis, en juin, les restrictions d’eau sont passées de 4h à 10h du matin, tous les jours. Il fallait désormais faire ses lessives tôt et rapidement, le weekend, quand par chance il y avait de l’eau. A la même époque j’ai pu constater dans les supermarchés une pénurie d’eau potable, ils ne vendaient plus que les petites bouteilles. Des quartiers entiers se retrouvaient sans eau pendant plusieurs semaines consécutives, et je pensais que je n’étais pas si mal lotie comparée à eux. Il est arrivé chez moi que l’eau soit coupée plusieurs jours de suite sans prévenir, et que je doive aller me réapprovisionner sur mon lieu de travail. L’entreprise qui administrait l’eau était incapable de se tenir aux horaires d’approvisionnement qu’elle avait elle-même fixé. Les gens des quartiers les plus affectés bloquaient parfois la circulation pour manifester, ce qui était compréhensible. Des camions-citernes venaient les approvisionner et les gens formaient de longues queues dans la rue avec d’immenses seaux d’eau. Le paysage était devenu sec, jaune, desséché. Je ne comprenais pas comment la végétation arrivait à subsister dans un environnement si hostile, et encore moins les humains. L’air était plein de poussière et cachait presque toujours les montagnes.

La première chose que je faisais en me réveillant était de remplir les dizaines de bombonnes de la maison. Le stress que l’eau ne sorte pas en ouvrant le robinet me hantait, comme c’était arrivé plusieurs fois. Nous n’étions bien sûr jamais prévenus à l’avance de ces coupures, et lorsque l’une de mes colocataires ou moi rentrions à la maison, la première question était immanquablement : « Hay agua? ».

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Sentier de l’ancien observatoire astronomique sur le site archéologique Boca de Potrerillos.

Un jour tragique arriva en août où un des trois réservoirs de la ville fut complètement à sec, le sol craquelé comme un désert africain. Une image que tous les regiomontanos garderont en tête. Les deux autres réservoirs étaient à moins de 10% de leur capacité. Pendant ce temps, dans le « Manhattan » de Monterrey, San Pedro, tout baignait. Pas de coupures d’eau, les piscines privées toujours bien remplies, et les terrains de golf bien arrosés. Alors que pour la majorité de la population, c’était interdiction de laver sa voiture, et on encourageait même les gens à se dénoncer entre eux. Voir comment la crise de l’eau n’affectait pas tout le monde de manière égale, mais reflétait plutôt les strates sociales, provoquait un sentiment d’injustice chez la plupart de la population, dont moi. A peine deux ans avant, le covid avait touché tout le monde sans distinction, mais cette fois-ci, la crise de l’eau mettait en évidence les inégalités de notre société.

Mon quotidien pendant ces longs mois de canicule fut de trouver des stratagèmes pour supporter la chaleur infernale du dehors, dépassant souvent les 40°. J’arrivais à 9 heures du matin au boulot en sueur. Le soir en rentrant, les 20 minutes de marche sous le soleil étaient un calvaire et je me jetais dans la douche, bien sûr sans eau, pour me rincer avec un seau. Le luxe de se doucher plusieurs fois par jour était inenvisageable, même si tout le monde en rêvait.

Partir ou rester ?

Je me suis posé la question de rester ou non. Est-ce que ça valait vraiment la peine d’endurer cette situation ? Même si je n’en pouvais plus du manque d’eau, de la chaleur, de cette ville hostile, la réponse était oui. Toute cette pénibilité était compensée par mon boulot si enrichissant. J’étais venue au Mexique pour faire ça. L’aboutissement de tout ce travail s’est traduit par des conférences données avec ma cheffe à la fin de mon séjour, à un public nous remerciant du travail de sauvegarde du patrimoine que nous faisions dans la région. Ce patrimoine architectural a presque toujours été délaissé par les politiques de la ville, rêvant eux de construire une ville de gratte-ciels américains, tournant le dos à ses racines.
Début septembre, peu de temps avant que je ne quitte la ville, les nuages de pluie sont enfin arrivés, changeant complètement le paysage. Je partais avec une image de Monterrey verte, un air propre, et la vue des montagnes, fière d’avoir tenue face à l’adversité. C’est quelque chose que j’avais déjà admiré chez les chiliens, et que j’ai retrouvé au Mexique : leur force face aux aléas de la vie. Ils s’adaptent, car ils n’ont pas d’autre choix. Nous, européens, pourrions nous en inspirer.

Un bilan positif ?

Cette expérience à Monterrey a été l’une des plus difficiles à vivre de ma vie, bien qu’enrichissante. Le stress de se réveiller et que rien ne sorte du robinet, l’inquiétude permanente de manquer d’eau, à côté de l’insupportable chaleur pendant ces longs mois, ont eu des répercussions physiques sur moi. Il m’a été difficile de faire réaliser à mes proches la difficulté de la situation. Cet été, l’Europe a également été marquée par la sécheresse, cependant, le décalage était immense avec ce que je vivais. Malheureusement, ça m’a aussi laissé un avant-goût des conséquences du dérèglement climatique à l’échelle globale. Ce problème reviendra, ici ou là-bas, plus intense chaque année.

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Pétroglyphe dans le site archéologique Boca de Potrerillos datant de 7000 ans.

J’ai détesté cette ville, mais vivre là-bas m’a permis de découvrir un Mexique différent de celui auquel on nous habitue. Le nord, le désert sec, et ses villages que j’ai parcourus sont des lieux imprimés dans ma mémoire. La hacienda del muerto de Mina, le site archéologique Boca de Potrerillos avec ses pétroglyphes vieux de 7000 ans, et la réserve naturelle de Cuatrociénegas valent largement le déplacement jusque dans cette partie moins connue du pays.

Anne-Claire

En projet de partir en PVT un an au Mexique

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