La Patagonie est un immense terrain de jeu pour les habitué·e·s de la montagne. Pour les autres, c’est l’occasion de faire de nouvelles expériences. Quand je suis arrivée avec ma petite (mais pas inexistante) expérience de montagne, je voulais faire de la randonnée. Puis en discutant avec d’autres voyageur·euse·s, je me suis mis en tête d’aller plus loin, de partir 2 jours et de dormir dans un refuge. À ce moment de mon voyage, je suis seule, donc je sais que si je veux vivre cette expérience, je ne peux me reposer sur personne. C’est seule qu’il faut que je le fasse.
J’ai entendu parler d’El Bolson comme d’une petite ville hippie perdue dans les montagnes et qui constitue le point de départ de plusieurs sentiers dans le parc naturel protégé du Rio Azul et du Lago Escondido (ANPRALE). Ça me semble être l’endroit idéal.
En arrivant, je me rends à l’office du tourisme pour prendre les renseignements nécessaires. Sur la carte du parc naturel, je vois qu’en effet, les sentiers sont organisés de telle façon qu’il est possible de passer plusieurs jours dans la montagne en allant de refuge en refuge. J’essaye de comprendre comment ça fonctionne. Est ce qu’il faut réserver ? Est ce qu’il y a de la nourriture là-bas ? Des toilettes ? Je comprends que pour pouvoir entrer dans le parc, il faut s’enregistrer sur le site internet, en indiquant les sentiers qui vont être empruntés et le refuge choisi. Il n’y a pas besoin de faire de réservation.
Je pars donc avec un petit sac à dos contenant une tenue de rechange, un duvet, de l’eau, de la nourriture, un livre, une brosse à dents et du dentifrice, de la crème solaire et des boules quies. J’ai repéré deux refuges qui m’intéressent et j’ai opté pour celui dont on m’a le plus parlé, Cajon Azul. Mais je sais que si je le souhaite, je peux marcher plus longtemps pour aller jusqu’au refuge suivant.
Le premier jour, je marche avec des personnes qui sont dans la même auberge de jeunesse que moi. Nous sommes deux Françaises, un Suisse et un Brésilien. Il y a du monde sur le sentier. El Bolsón est prisé par les Argentin·e·s et les Chilien·ne·s. En plein été, on a parfois l’impression que les chemins deviennent des boulevards. On arrive au refuge dans l’après-midi. Mes compagne·on·s de marche ne dorment pas sur place et font l’aller-retour dans la journée. Ils·elles partent et je m’installe. Je m’inscris sur le registre, je paye mon séjour et on m’indique mon « lit ». Le refuge est un grand chalet assez spartiate. Il faut que je monte un escalier/échelle, jusqu’à une pièce sous les toits, qui fait un peu penser à un grenier. On y trouve, couvrant presque la totalité du sol, une vingtaine de matelas dans des housses de protection en plastique, étalés sur le sol et alignés en rang d’oignons. Ils sont tous déjà pris, sauf un, le mien, celui qui a la place la moins stratégique puisque positionné au milieu de tous les autres. J’ai littéralement les pieds de mes voisins dans la figure. Je pose mon duvet dessus pour signaler qu’il est occupé.
Il n’y a personne dans le refuge à cette heure-là. Tout le monde profite de la rivière ou est parti en randonnée. Il y a aussi des personnes installées dans l’espace camping autour du refuge, surtout des groupes de jeunes. C’est très courant en Argentine, notamment pour les étudiant·e·s de partir à la fin de l’année en vacances dans cette région avec ses ami·e·s.
Moi, je suis seule, sans réseau, avec une batterie de téléphone très limitée, pas de prise pour le charger et un bouquin. Je m’installe sur le bord de la rivière et je lis jusqu’à ce qu’il commence à faire trop frais. Je suis en pleine Patagonie, seule, un peu perdue, mais je suis aussi à Poudlard dans Harry Potter y la camara secreta (tome 2).
Pour manger, il est possible de commander des pizzas maison ou des sandwichs auprès des gérant·e·s du refuge, mais je cuisine les pâtes que j’ai apportées. Des pâtes au sel, un vrai régal.
Il y a plein de monde dans le refuge, des groupes d’ami·e·s et des familles. Ils jouent aux cartes, ils mangent. C’est très animé. Il n’y a pas de Français·e·s, d’Allemand·e·s ou d’Américain·e·s, que des Argentin·e·s et des Chilien·ne·s. C’est peut-être la première fois que ça m’arrive depuis le début du voyage. Je me demande si je dois aller vers les autres, essayer de me raccrocher à un groupe. Puis en observant bien, je me rends compte que les groupes ne se mélangent pas, chacun·e reste avec les siens. Alors dans un élan d’introversion, je mets mes écouteurs, je reprends mon livre et je profite de cette soirée déconnectée, dans la montagne, dans ma bulle. Après un passage éclair dans l’une des deux salles d’eau du refuge (deux pour une petite centaine de personnes), je vais me coucher tôt. Par la fenêtre du grenier, je vois les étoiles et provenant d’en bas, j’entends la bonne humeur des randonneur·euse·s. Petit à petit, le dortoir se remplit, et tout devient calme (excepté les ronflements de certain·e·s de mes compagne·on·s de chambre).
Je pensais que je n’arriverais pas à dormir, au milieu d’une foule de gens, sans oreiller ni draps, avec le froid de la montagne et les bruits du dortoir. Mais on s’habitue à tout et après plusieurs semaines de voyage, j’aurais pu m’endormir au milieu d’un supermarché un jour de soldes.
Le lendemain, je me réveille tôt car je veux profiter du petit matin pour marcher sur le sentier avant qu’il ne soit trop fréquenté.
Après un rapide petit-déjeuner sommaire, je me mets en chemin. C’est très agréable, je suis seule. C’est le même trajet que la veille à l’envers mais j’ai l’impression de le découvrir. La fin est difficile, ça grimpe beaucoup. Mon allure est stable, je marche lentement, mais je ne m’arrête jamais et je finis par arriver au point de départ.
Le retour à la civilisation est le bienvenu. Pour me rendre dans la ville, je fais du stop avec un gynécologue letton rencontré sur le chemin. Un sympathique porteño (habitant de Buenos Aires) en vacances dans le coin s’arrête pour nous emmener. Au programme pour le reste de la journée, des empanadas, une bonne douche et de la farniente sur le hamac de l’auberge de jeunesse.
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