Article - Cambodge - L'Europeenne et la petite vendeuse d'ananas.

[Lilou]

Episode 1 – De Phnom Penh à Siam Reap

Des petits visages regardent vers le haut, les yeux pleins d’espoir, les yeux pleins de dollars. Ils me regardent en lançant des « ma sœur, ananas ? », « canne à sucre ? », « ma sœur, tu veux de l’eau ? », difficilement perceptibles par moments dans ce brouhaha inconfortable qui m’entoure…

Ses yeux sont tellement bleus ! Elle regarde ma sœur, mes amis les uns après les autres, ah ! C’est mon tour ! « Ma sœur, ananas ? ». Elle continue sa ronde du regard…
Ses sourcils se froncent. Est-ce qu’on crie trop fort ? Non… Je crois qu’elle va céder, elle nous regarde comme les petits enfants défavorisés que nous sommes, il faut insister, maintenant ! « Ananas ? ».
Tout le monde hurle, elle recule et part dans une autre direction. Certains d’entre nous courent vers d’autres Occidentaux, moi, je la suis, je ne suis pas la seule…
Si je veux qu’elle achète mes fruits, je dois me démarquer ! Je me mets devant elle et je répète cette phrase tant de fois dites depuis que je sais parler.

Il y a quelques secondes, les ananas valaient 4000 R, soit 1$ et là, ils me le proposent tous à 2000 R…. Ce n’est pas une question de prix, bien évidemment ! Depuis quelques jours que je suis au Cambodge, c’est la énième fois que je me fais sollicitée par des enfants, alors, non seulement, je ne peux pas acheter à tout le monde, mais aussi – c’est triste à dire – la pitié, la tristesse laissent de plus en plus place à l’agacement voire à l’indifférence…
Je recule et pars dans une autre direction. Certains s’en vont vers d’autres proies à la peau blanche, mais certains restent tenaces, surtout cette petite fille qui se plante devant moi, m’empêchant d’aller plus loin. Elle a de jolis traits mais ses sourcils froncés et son air agressif lui enlèvent ce charme qu’ont les petites Occidentales sans souci d’argent, sans conscience même de ce que cela représente…
Elle a des petites gouttes de sueur sur le nez. Elle nous regarde avec des yeux noirs Camille et moi et dit à Camille – qui vient d’acheter des ananas à un petit garçon plus jeune – qu’elle est folle. Ça ne sert à rien, mais je lui demande de nous parler sur un autre ton.
Quelle drôle de sensation de lire dans les yeux de ces enfants que je suis une Occidentale, riche et que ne pas leur donner quelques dollars fait de moi la pire personne au monde.

Elle dit à nouveau « non » et met sa main droite devant moi comme pour me dire que c’est peine perdue de continuer à lui parler. J’insulte son amie qui a refusé il y a quelques minutes de m’acheter quoi que ce soit et que je vois apparaître de je ne sais où avec un sac d’ananas. De loin, je regarde « Ju » s’asseoir - j’ai entendu son amie l’appeler ainsi - et manger les ananas de son amie. Ma sœur ne perd pas espoir et essaie toujours de lui vendre des… Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Elle lui en achète. Je me précipite vers elle, elle me regarde l’air un peu coupable, je lui jette à la figure que je ne l’aime pas et je m’en vais à nouveau…

En m’asseyant à une table, je goûte à l’ananas de Cam, il est vraiment bon. Une petite fille continue de m’en proposer, je me dis que je pourrais en acheter finalement – je m’exécute mais lui demande de ne rien dire aux autres car la petite furie risquerait de s’énerver. Quand on parle du loup… Elle accourt et me lance sa haine au visage. Je lui conseille d’être plus gentille avec les gens, elle est déjà loin…


Episode 2 – De Siam Reap à Phnom Penh, trois jours plus tard…

Un bus arrive, vite ! « Ma sœur, tu veux de l’ananas ? », « Non merci » me répond-elle. Oh ! Je la reconnais, c’est elle que j’ai traité de folle. Je lui dis que je me rappelle d’elle et je m’excuse. Elle doit aller aux toilettes… Son amie ne doit pas être loin. Je la vois ! « Tu veux de l’ananas ? », « non merci » me dit-elle sans même me regarder. « Tu veux quoi ? », « A vrai dire, je chercher mon amie » - « Elle est aux toilettes… Je te reconnais tu sais… »

Nouvel arrêt sur le lieu de notre unique prise de bec avec des Cambodgiens. Une petite fille vient me proposer de l’ananas, je cherche Camille donc je ne lui porte pas plus d’attention que ça, jusqu’à ce qu’elle dise me reconnaître. Oui, elle ressemble bien à la petite fille de l’autre fois mais son expression est tellement différente ! Elle sourit…
« Je n’ai même pas d’argent ». Sa moue en dit beaucoup sur ce qu’elle pense… OK, j’ouvre mon porte feuille et je sors tout ce que j’ai, 200R, qui équivalent a 5c de dollar US. « Ton amie en a sûrement… En allant à Siam Reap tu ne m’as pas acheté d’ananas et maintenant tu ne veux pas m’en acheter non plus »…
Camille revient des toilettes après avoir dit non à plusieurs enfants. Elle fouille dans son porte monnaie pour voir si elle peut acheter de l’ananas à notre nouvelle amie.

Elle dit qu’elle n’a pas d’argent, pfff, ce n’est pas possible. Elle ouvre son porte monnaie et sort 200R, elle me les propose même, je n’en veux pas, c’est tellement peu…
Son amie arrive et sort un billet de 10 000R, cool ! Je le prends et cours faire de la monnaie.
Quelques minutes plus tard, je lui tends un billet de 5000R qu’elle prend et je cherche le reste de la monnaie que je lui dois dans mon tas de billets, elle dit « non, c’est bon ». Je lui fais un grand sourire sincère, elles n’étaient pas si méchantes que ça finalement…
Elles s’assoient à une table pour manger, je reste près d’elle. Elles se lèvent précipitamment, leur bus est en train de partir, hihi ! Je leur fais coucou pour leur dire au revoir…

Camille a de quoi payer un sac d’ananas. La petite part faire de la monnaie et les enfants qui ont essuyé un refus un peu plus tôt de sa part font la tête. Je vois l’une des petites filles parler en Cambodgien et dire – de toute évidence – des choses assez négatives en désignant Camille du menton. Déjà vu ? Comment est-on censées faire ? Leur acheter des fruits à tous ? C’est pesant…
On va s’asseoir et on voit que la petite furie est maintenant attirée par nous et qu’elle est plus agréable que n’importe quel autre enfant du village. Ahhhh le bus s’en va sans nous !

Je m’appelle Kaneka, j’ai 12 ans et je suis née au Cambodge…

Je m’appelle Julie, j’ai 22 ans et je suis née en France…

[Daniel.Ca]

C'est mignon

[Choopooly]

Tu es vraiment douée pour l'écriture ne t'arrêtes jamais de visiter et d'écrire ce que tu ressens car c'est vraiment agréable de te lire

[Lilou]

Merki beaucoup ! Dur dur le Cambodge, je sais pas si ca se ressent dans cette petite fable (bien reelle )...

[Anonyme]

c'est vrai que visiter un pays du tiers monde nous permet de mieux apprécier tout ce qu'on a . en tout cas, tu as vraiment beaucoup de style et je lis tes histoires avec beaucoup de plaisir, je crois que tu devrais écrire un bouquin de toutes tes aventures!

[lilti972]

cette histoire est terrible.. elle m'a fait froid dans le dos de la lire. De savoir que l'on vit un enfance dorée si loin de ça. L'aggressivité de cette enfant, on comprend l'image que nous occidentaux avons là (un peu de vaches à lait) et en même temps l'importance que la vente de cette ananas peut avoir pour elle.
Je crois que le rapport de force qui ressort de cette histoire en fait une histoire très humaine et touchante.
Cela est aussi du à ton talent, je ne cesserai de te le dire, tu as un vrai talent, tu réussis à nous faire voyager. on prend même l'odeur de l'ananas
Merci Lilou

[Bouille]

Merci Lilou !
Je suis devant mon bureau dans cet Hotel de Luxe (plein de caprices)... Bien des personnes auraient besoin de faire un voyage ou au moins de lire ton recit pour apprecier une vie simple...

Lire ton recit et etre au coeur des personnes "frou frou" du Festival du Film : au milieu un precipice dont peu de personnes sont conscientes.

Thank Lilou

[Lilou]

Encore merci a tous ! En ce moment je crois que tous mes posts commencent par ce mot !
Malheureusement, meme si on relativise beaucoup en vivant ce que j'ai vecu ce jour la ou lorsque vous lisez mon recit, on revient vite a nos preoccupations occidentales, futiles sans aucun doute, mais je crois que maintenant c'est trop tard, on est ne la ou on est ne, avec tout ce que ca implique, difficile de s'en defaire, n'est ce pas ?

[jtlse]

ah je reviens lire les fameux articles de Lilou.
Toujours bien écrits en tout cas. Mais bon, de voir tant de différences entre les pays fait peur quand on y pense même si tout le monde le sait.
Oui après comme tu dit, chacun vit avec ces acquis et donc personne n'a les memes préoccupations ...

[Anne30]

Merci pour tes récits de voyage !!

J'ai vécu presque un an an cambodge, il y a trois ans, et je n'ai jamais vécu ce genre de scène, les enfants n'étaient jamais agressifs, et pourtant j'y ai pas mal bourlingué !! Par contre, c'était plutôt fréquent au vietnam, plus touristique...enfin à l'époque j'avais associé ça aux touristes...

C'est vraiment très dur pour nous occidentaux, la pédophilie au grand jour,la pauvreté, voire même les trafics d'enfants (une femme originaire de la camapgne, enceinte, m'avait proposé à Phnom Penh d'acheter son bébé à naitre..) et nous les blancs qui sommes tellement idéalisés dans leur regard !

En tout cas profite bien de ton séjour, le cambodge est un pays magnifique et les gens sont vraiment très attachants...on ne revient pas de ce genre de voyage endemne, et c'est très bien !

Continue de nous faire part de ton périple !