Detroit : 917 000 habitants Agglomération : 4,4 millions
Detroit. Troisième et dernière étape étasunienne de notre périple. Assurément une destination contestée. Et pour cause, en 2009, Detroit est, selon Forbes, la ville la plus dangereuse des Etats Unis. Ce n’est pas une irresponsabilité immodérée qui nous a poussé à y aller, c’est presqu’une responsabilité d’urbaniste d’y passer. Et puis, Greg voulait faire un tour du côté de 8 miles checker Eminem…
Pour l’histoire, Detroit prospère dans la première moitié du 20ème siècle grâce à l’industrie automobile. La ville abrite aujourd’hui encore, le siège de General Motors. En 1950, Detroit compte 1,8 millions d’habitants. Une ville champignon, 30 ans auparavant elle n’en comptait que moitié moins. De cette période glorieuse, la ville conserve de sublimes buildings art déco à l’instar du Guardian.
C’est aussi à cette période, sous la pression de l’industrie automobile qu’on été construites de véritables autoroutes urbaines qui ont permis aux populations les plus riches (majoritairement blanches) de s’installer en banlieue, délaissant peu à peu le downtown aux plus pauvres (majoritairement noirs). A la fin des années 60, des émeutes historiques ont éclaté, ternissant un peu plus l’image de la ville, dont on nous explique qu’elle a été corrompue durant des années. Même si l’on parle d’un timide renouveau de la ville, elle a depuis 60 ans perdu à nouveau plus de la moitié de sa population et des buildings, en
plein centre ville sont laissés à l’abandon, tout comme des centaines de maisons cossues des alentours.
Voilà, c’est armés de ces quelques informations (et d’autres, absurdes lues sur internet) que nous prenons le car pour Detroit, avec la ferme intention de prouver que la ville ne mérite pas sa mauvaise réputation. Nous arrivons à 6h du matin dans la gare routière de Motorcity, disons le, entourés exclusivement de noirs. Nous sommes rapidement plongés dans le bain donc, car Detroit, c’est un peu la ville des statistiques ethniques. Le centre ville concentre 25% de la population de l’agglomération, dont 75% sont afro-américains. Une pure illustration de nos cours d’urbanisme nord américain.
Finalement, je trouve le sommeil dans la gare routière, pour les 3 heures que nous y passons avant de retrouver Leeann et Chelsea, nos hôtes detroiter ; comme quoi, je ne dois vraiment pas me sentir en danger, Greg surveille au cas où, mais rien ne se passe. Comme durant le reste de notre séjour.
Leaan et Chelsea habitent dans un quartier résidentiel tranquille (je dirai de la classe moyenne), à 45 mn à pied de downtown. De pures Detroiter, qui en sont parties, mais revenues, et qui s’engagent pour leur ville et la communauté. Detroit est la ville la plus pauvre des Etats Unis, 26% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est deux fois plus que la moyenne nationale.
Chelsea, a fondé une association qui s’occupe de récupérer de vieux vélos, de les remettre en état de marche, de les vendre (pour une somme modique) et avec les bénéfices de mener des actions à destination des enfants. D’après elle, la ville n’apporte aucune aide aux associations. Au contraire, les dirigeants, longtemps corrompus (le dernier maire est en prison et l’actuel est un ancien joueur des Pistons) avaient visiblement plutôt tendance à ruiner les initiatives en faveur des populations locales comme nous le confirme Tyree Guyton, le fondateur du Projet Heidelberg (voir plus loin).

the Heidelberg Project par Tyree Guyton
La solidarité en est d’autant plus exacerbée et la vie associative visiblement très active. La première soirée passée à Detroit nous portera auprès d’une assemblée aux airs clandestins, dans une ruelle coincée entre deux blocs d’immeubles abandonnés où des créateurs d’associations vendent de la soupe afin de récolter des fonds pour leurs différents projets. Ce soir là, nous suivons Chelsea dans une cantine (improbable de l’extérieur), où nous dinons avec un réalisateur de Portland, venu faire un film sur les jeunes de Detroit ; et les deux autres couchsurfeurs québecois hébergés chez Leeann et Chelsea. L’un deux habite la moitié de l’année dans le bois pour faire comme il le dit si bien « de la contemplation ».
La deuxième soirée n’en est pas moins originale. Elle prend place dans une immense maison bourgeoise, aujourd’hui habitée par un collectif d’une dizaine de personnes, et dont le garage a totalement été réaménagé en salle de concert. Une centaine de personnes aux looks parfois improbables entre néo hippie et bobos étaient rassemblées autour d’une exposition sur les hommes et femmes qui se sont battus pour Detroit. Dommage qu’on y ait croisé que des têtes blanches.
Malgré ma conviction personnelle à prouver qu’il s’agit d’une ville dont la réputation fausse la réalité, je dois reconnaitre qu’il y règne une ambiance étrange. La ville a une densité extrêmement faible, elle est traversée par des autoroutes urbaines vides, les trottoirs proportionnellement larges aux routes sont dénués de chalands… Nous avons marché des heures en ne croisant personne sur les trottoirs. Hormis le bus (peu fiable) et un petit « métro » aérien circulaire sans intérêt pour les habitants, aucun système de transport en commun n’existe.
Nous avons donc du marcher des kilomètres entre quelques différents sites, très éloignés les uns des autres, d’autant que les trajets au bord de grandes routes, au milieu de quartier entier abandonné était assez particulier.
Les sensations ressenties sur place et ce qu’il en reste aujourd’hui, sont assez difficiles à décrire. Si certains estiment que la ville renait notamment grâce à de nombreux nouveaux aménagements (front de rivière, ouverture de 3 casinos…), pour l’œil extérieur, Detroit à l’air d’une ville à bout de souffle. Certes de magnifiques buildings de 40 étages dévoilent à leur entrée un panneau explicitant un plan de réhabilitation prochain, mais l’immeuble voisin est lugubre, les fenêtres cassées jusqu’au dernier étage et l’accès, bloqué. Au pied de ces buildings, dans des terrains vagues, des carcasses de voitures, abandonnées, brulées sont amassées.
Et si nous avons pu assister à des manifestations associatives, le profil des participants laisse penser que les premiers à avoir besoin d’aide ne sont pas ceux qui en profitent, du moins pour l’instant.
Nous avons tout de même visité le musée de Detroit, un petit Louvre, vestige de la grande époque très bien fourni et très intéressant, notamment l’étonnante fresque sur une chaine de montage industrielle de Diego Rivera qui nous a été comptée par un petit papi passionné.

Une partie de The "Detroit Industry" la fresque de Diego Rivera
Puis nous sommes allés voir the Heidelberg Project, où toute une rue est depuis 25 ans, redécorée avec des objets de récup’. Nous marchons plus d’une heure et demi pour l’atteindre, et traversons zones industrielles, terrains vagues, quartiers aux maisons de bois défraichies comme de vieilles baraques de cow boy, certaines squattées, en très mauvais état, les voiture devant sont cabossées, rouillées. On apprend plus tard de ce quartier qu’il est l’un des plus pauvres des Etats Unis. Nous nous arrêtons dans une station service pour vérifier notre chemin. Le pompiste très gentil, nous met en garde, nous dit de faire attention.
Une fois arrivé, nous rencontrons Tyree, le fondateur du projet, dont l’intention originale était de donner une autre image de ce quartier périphérique socialement dévasté. Son projet est fou, drôle parfois un peu

glauque ; en tous cas, il attire des touristes dans des quartiers que les non locaux et certainement même la majorité des locaux ne fréquenteraient pas en temps normal. (Pour en savoir plus sur le projet :
The Heidelberg Project)
Nous finissons notre séjour par une promenade jusqu’à l’hallucinante gare de Detroit, aujourd’hui fermée, dont les abords ont été réaménagés dans l’espoir qu’un jour cet immense bâtiment emblématique soit réhabilité. En attendant, il est devenu un lieu de tournage régulier et surveillé.

L'ancienne gare de Detroit
Je vous avoue avoir quelques difficultés à écrire cet article. Nous avons écourté notre séjour (deux jours seulement), et avec du recul, je ressens une légère frustration de n’avoir pas vu plus. J’ai l’impression de ne pas avoir bien compris cette ville et j’aurais aimé approfondir ce que j’y ai vu, que ce soit en termes d’initiatives (des jardins potagers et serres se redéveloppent dans la ville profitant des nombreux terrains vacants) ou de rencontres des habitants.
On nous disait avant de partir que Detroit est une ville sans intérêt, dangereuse. En y réfléchissant, en jours on a vu ni les musées de la Motown (c’est à Detroit que le mouvement musical est né) ni le musée Ford, ni les banlieues parmi les plus riches des Etats Unis, ni le nouveau centre, où quelques buildings qui se voulaient annonciateurs de meilleurs jours ne suffisent pas à redynamiser la ville.
En ce qui concerne le danger, à aucun moment, nous ne nous sommes sentis menacés. Certes, une ville vide n’est pas rassurante, mais pour ça il y a les petits mots bienveillants de toutes (sans exception) les personnes que nous croisons sur les trottoirs, même de cet adolescent, ou de cette armoire à glace, dont l’apparence pourrait nous effrayer.
Detroit est une ville difficile à appréhender, je crois qu’un temps d’adaptation est nécessaire, d’une part pour se rassurer (on ne peut pas totalement passer outre ce qu’on entend de cette ville) et pour s’habituer à cette vie ralentie et ce vide quasi permanent. Elle implique de se défaire des contraintes de sa conception actuelle, ce qui signifie pour l’instant de circuler en voiture.
Parait-il que la position stratégique de Detroit lui assure un renouveau certain. Ce serait définitivement un défi intense à relever mais par quel bout commencer ?
See you soon.