20 ans à vos côtés pour réaliser votre projet PVT !
Localisation
Saint-Brevin-les-Pins, France
Profession
Animateur pour enfants
pvtistes
Bonjour, peux-tu te présenter en quelques mots et nous raconter ton parcours de pvtiste jusqu’à la citoyenneté canadienne ?
Bonjour, je m’appelle Kevin, j’ai 32 ans, je viens des alentours de Nantes et je suis un ancien pvtiste de 2015 (dernière année du système de quotas et des serveurs saturés). Je suis arrivé à Vancouver durant l’été 2015. J’y ai passé un an avant de partir au Québec où j’ai pu obtenir mon permis de travail fermé, ma résidence permanente et finalement ma citoyenneté canadienne. Je suis aujourd’hui concepteur de jeux vidéo pour un studio québécois.
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Tu es venu vers nous pour évoquer un aspect souvent tabou ou peu abordé de la vie à l’étranger : la perte d’un proche resté dans son pays d’origine. Peux-tu nous dire comment tu as vécu cette expérience ?
Effectivement, un sujet un peu délaissé et pas forcément de manière volontaire puisque dans les circonstances d’un décès, le processus de deuil va démarrer et chacun va le vivre à sa façon. C’est personnel, unique à chacun et c’est ce qui pourrait expliquer pourquoi finalement on en parle peu.
Pour ma part, j’ai perdu mes deux petits frères en 2 ans. Le cadet par un suicide il y a justement deux ans et le benjamin par la maladie cette année. Tous les deux étaient en France et j’étais à l’étranger durant ces deux dates.

Dans les deux cas, ce sont mes parents qui m’ont appelé sur Messenger pour m’annoncer soit l’acte de suicide de mon cadet, soit l’état de santé de mon tout petit frère. Pour l’un, je n’y étais absolument pas préparé. Pour l’autre, ma famille et moi avions espéré un rétablissement qui n’a pas eu lieu.
Le fait d’apprendre la nouvelle à distance ne change en rien l’impact émotionnel de la nouvelle en elle-même. C’est une information difficile à entendre, à traduire et à assimiler. Elle aurait été aussi dure à recevoir en France ou à l’étranger, à l’oral ou par téléphone. C’est dans la suite du processus que le deuil géographique va être très différent. Canada
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Quels ont été les principaux défis logistiques ou émotionnels auxquels tu as dû faire face dans ces moments-là ?
Concernant mon frère cadet, j’étais en vacances avec ma conjointe en Écosse lorsque mes parents m’ont appelé pour m’annoncer que sa voiture avait été retrouvée par la gendarmerie au pied d’un pont (connu pour ses suicides). Chez n’importe qui, le lien était évident à faire mais pour ma famille et moi, ça n’avait aucun sens. Mon frère vivait non loin du pont, il le traversait presque tous les jours. Il y avait donc une autre explication quant à sa voiture garée à cet endroit. Une panne, une envie de partir, une dispute avec sa copine. Tout sauf la thèse d’un suicide. À la suite de cet appel téléphonique, j’ai donc décidé de poursuivre l’organisation de mes vacances avec ma conjointe tout en gardant le téléphone près de moi. Mon frère ne donnait pas tous les jours des nouvelles à mes parents. Il pouvait s’absenter plusieurs jours avant de se montrer.

Trois jours plus tard, mon séjour s’achevait. Nous n’avions toujours pas de nouvelles. Les vacances n’en ont pas été. J’ai donc annulé mon retour vers le Canada et je suis rentré en France dans les pleurs. Durant le premier mois, nous n’avons eu aucune nouvelle. Mon employeur a été plus que compréhensible et m’a permis de travailler à distance durant la période qui serait nécessaire. Cela me permettait d’occuper mon esprit et de pouvoir continuer à recevoir un revenu pour payer le loyer au Canada. Mes parents ont décidé de m’acheter un nouveau PC qui me permettrait d’effectuer mes tâches professionnelles.

Un jour, ma famille et moi avons reçu la visite de la gendarmerie chez mes parents pour nous annoncer la découverte d’un corps qui correspondait à celui de mon frère. J’ai donc été présent durant les funérailles, mes amis français sont venus dans la région de Nantes pour me soutenir, certains ayant fait la route depuis la Laponie. Mes amis canadiens m’ont soutenu par dizaine de messages. Mes parents étaient là pour moi. J’étais là pour eux. Après les cérémonies, je suis resté 1 mois de plus. Cela a permis à mes parents de ne pas être seuls avec mon frère et aussi de gérer le début des démarches testamentaires.

Pour mon frère benjamin, soit deux ans plus tard, la situation a été différente. Il a été hospitalisé en France suite à une crise d’épilepsie durant laquelle il a été pris de vomissements. Certains de ces vomissements sont entrés dans ses poumons et une hospitalisation a été nécessaire. J’ai donc été informé par mes parents de la crise, chose qu’il faisait occasionnellement. L’hospitalisation m’inquiétait mais encore une fois, à ce stade il n’y avait rien d’alarmant au point de devoir rentrer en urgence. J’ai donc continué de travailler au Canada. Ma mère me parlait tous les jours.

Lorsque mon frère a été admis en réanimation, elle m’a dit que ce n’était pas bon signe. J’ai averti mon employeur canadien de la situation et qu’il se pouvait que je doive partir en urgence prochainement. Ce qui est arrivé. Un jeudi soir, mon père m’a appelé tardivement. C’était donc la nuit en France et il m’a dit qu’il n’y a plus rien à faire. Si je voulais voir mon frère une dernière fois, je devais rentrer rapidement. J’ai raccroché et me suis mis à pleurer. Ma conjointe était avec moi. Nous avons regardé ensemble les billets d’avion. Moi je regardais si atterrir à Paris et prendre le train pouvait être plus rapide tandis qu’elle vérifiait les premiers vols vers Nantes. J’ai trouvé rapidement un billet moins cher qu’elle. Alors je l’ai pris sans réfléchir et j’ai payé avec ma carte de crédit puisqu’il représentait plus d’un mois de loyer.

J’ai réalisé un instant plus tard qu’avec la précipitation, j’avais pris un vol vers Paris et qu’il n’était pas avantageux du tout. Je devais aller à Montréal en bus et prendre un train Paris-Nantes. Nous avons passé tous les deux 4 h au téléphone avec la compagnie aérienne pour leur expliquer la situation, que c’était une erreur et que j’étais prêt à payer la différence pour un meilleur vol plus cher. La compagnie a refusé catégoriquement. Dans le même temps, mon père m’a appelé plusieurs fois. J’ai réussi à parler avec le médecin qui m’a expliqué la situation sans espoir. Dans un autre appel, ma famille et moi nous sommes rappelés et j’ai fait mes adieux par téléphone à mon frère qui était dans un coma artificiel. Nous avons pleuré. Ma conjointe est restée près de moi et ne m’a pas quitté.

Ironie du sort, nous partions tous les deux en weekend pour 3 jours et mon sac était déjà prêt. J’ai simplement ajouté des vêtements pour 3 jours supplémentaires car j’ignorais combien de temps j’allais passer en France. Le lendemain, j’ai averti mon employeur et j’ai quitté le Canada en urgence. Mon frère est finalement décédé 30 minutes avant mon arrivée à l’hôpital.

Et là, le deuil géographique commence. Bien que pour ma famille et moi, les préparatifs funéraires se répètent après seulement 2 ans, je me sens complètement en décalage. Nous retournons dans le même salon funéraire, je retourne involontairement dans le même salon de coiffure, avec la même coiffeuse qui me dit qu’on s’est vus il y a deux ans. Je lui réponds même : “ah bon ?”.

La réalité est que je ne comprends pas ce qui se passe et que je suis convaincu que j’enterre une seconde fois mon frère cadet. J’étais retourné 1 fois en France pour le premier Noël sans mon frère depuis son décès et le décor n’avait pas tant changé pour moi. C’est comme la continuité d’un même cycle. Lorsqu’on évoque le prénom de mon frère benjamin, je suis sur le bord de corriger la personne en lui disant qu’elle veut plutôt parler de mon frère décédé il y a deux ans.

Lors des funérailles, les mêmes amis français reviennent. J’ai les mêmes vêtements noirs qui n’ont pas bougé de ma penderie, ce qui me donne l’impression de les avoir accrochés là la veille. Le deuil de mon premier frère commençait à passer et voilà qu’il se répète parce que je revis malgré moi les mêmes événements dans le même ordre. Je suis en décalage horaire aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. Je fonctionne au ralenti, je manque de force et pourtant je ne trouve pas le sommeil. Les émotions se mélangent et je peine à comprendre ce qui m’arrive.
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Avec le recul, penses-tu que ton processus de deuil a été transformé par la distance géographique ? Et si oui, de quelle manière ?
Pour ma part, je suis convaincu qu’un deuil géographique a son propre processus et demande à être pris en compte. Mes frères ne sont jamais venus au Canada, ce qui fait que je n’ai aucun lien ou souvenir qui se rattache à eux ici. J’entends par là, des lieux et des souvenirs rattachés à un endroit précis. Chaque jour, rien dans mon regard ne me fait penser à mes frères. Ce qui me fait penser à mes frères, ce sont mes souvenirs en France, des paroles, la façon de parler de certaines personnes, des gens au physique semblable, des attitudes.

Mais pour mes parents, pour ma famille et les amis de mes frères qui sont restés en France, eux passent devant les écoles, les lieux de travail, le fameux pont, l’hôpital, le cimetière, ou simplement la chambre de mes frères et leurs affaires. Un bar va leur rappeler les souvenirs d’une soirée, un cinéma, une autre soirée et ainsi de suite. Le deuil va évoluer en revoyant ces endroits.

Je n’ai pas ce “luxe” en quelque sorte et je n’ai pas le choix de m’adapter. Car je l’ai vécu lors du Noël deux ans auparavant : le deuil de mes parents était comme devancé au mien. Beaucoup de larmes sont tombées chez moi, à retardement ; alors que mes parents avaient déjà pleuré les mêmes des mois plus tôt. Bien sûr, il n’est pas question de course à guérir d’un deuil, mais le rythme est différent.
Canada
Je ne rentre pas souvent en France. J’ai donc créé chez moi un genre d’autel avec des photos, des objets à eux comme des montres, des jouets, des écouteurs, un briquet, des mots,…. Un ensemble qui me permet en quelque sorte de vivre moi aussi mon deuil loin du pays d’origine.

Comme je disais plus haut, chaque deuil est unique et propre à chacun. Il est tout à fait possible qu’une personne fasse la même chose que moi sans pour autant vivre à des milliers de kilomètres de sa famille. Chacun va se souvenir à sa manière. J’ai simplement constaté que pour ma part, je devais faire ça chez moi. Un lieu physique au Canada qui me rappelle mes frères bien qu’ils n’y soient jamais venus. Je me suis mis à racheter de vieux jeux vidéo auxquels je jouais avec mes frères, simplement pour les avoir près de moi. J’ai ramené de France des vêtements de mon frère cadet que je porte. Ce sont des petites choses qui ont leur importance pour prolonger leur souvenir.
pvtistes
As-tu trouvé des ressources, des soutiens ou des personnes qui t’ont aidé à traverser cette période, au Canada ou à distance ?
Dans le cadre du suicide, j’avais communiqué avec le Centre de Prévention du Suicide de Québec qui s’adresse aussi bien pour les tentatives que pour les endeuillés du suicide. Grâce à eux, j’ai eu une liste complète de professionnels que je pouvais rencontrer, allant de la travailleuse sociale offerte par la RAMQ à des psychologues à mes frais.

J’ai dans mon entourage des amis français et canadiens sur qui j’ai pu compter qui sont là pour moi et que je remercie infiniment. Il est bon de noter que le deuil semble éloigner aussi d’autres amitiés. Le deuil, malgré lui, va montrer la véritable bonté des gens.
Finalement, il y a surtout ma conjointe qui est là pour et avec moi. Je souris en disant ça mais on est loin de l’image de la béquille qui vous aide à avancer. Avec ma conjointe, on est plutôt sur du pilier en béton armé d’acier forgé.

J’ai aussi trouvé du soutien dans les témoignages d’endeuillés qu’on peut lire soit sur le net ou bien dans les livres. Ces témoignages prennent parfois la forme de conseils, de lignes à suivre mais traitent rarement du deuil géographique.
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Quels conseils donnerais-tu à un futur pvtiste qui pourrait un jour être confronté à ce type de situation difficile ?
La première chose sera d’être bien entouré. Aussi bien dans le pays d’origine que d’émigration. Cela peut être une seule personne : un(e) ami(e), un(e) conjoint(e), quelqu’un dans une association. Une personne qui saura écouter tout en acceptant les silences. Le deuil est un phénomène où soudainement vous êtes exposé devant votre entourage entier et pourtant, vous demeurez seul dans ce processus. Malheureusement, personne d’autre ne portera votre deuil. Par contre, il existe souvent des gens qui ont connu un décès et qui sauront mieux vous comprendre et vous écouter. Ces gens-là deviennent très précieux.
Je recommande la transparence avec votre employeur. Devoir retourner dans son pays d’origine va demander du temps et de l’argent. Votre employeur pourrait arranger vos horaires, avancer vos semaines de salaire ou vos vacances.

Enfin, il est important de rester quelques jours, voire semaines, après les funérailles. Non seulement votre famille sera proche de vous et vous évitera de rester seul dans le pays d’émigration mais vous pourrez aussi prendre le temps de vous habituer à cette nouvelle situation. Le deuil géographique veut dire que vous ne pourrez pas aller vous recueillir au cimetière, vous n’aurez pas accès aux affaires du défunt à moins d’en emporter avec vous. Ce manque matériel risque de générer des frustrations, de la tristesse ou de la colère.
pvtistes
Et pour finir, penses-tu que ces situations peuvent influencer la suite de ton parcours au Canada ?
Oui et non. Mon parcours au Canada est abouti. Je suis citoyen et je vis sur le sol canadien depuis 10 ans. Ma vie est ici et elle va se poursuivre de la même manière. Mon travail va rester le même. Ma vie sentimentale et mon réseau d’amis aussi. C’est ce que je souhaite en tout cas.
Canada
Comme tout endeuillé, le regard sur le monde change, le réseau amical se transforme, voire se resserre, pour devenir plus sincère et plus empathique. Je trouve que les malheurs et les peines rapprochent ceux qui les ont connus. Mais au-delà de ces changements, ma vie va reprendre simplement son cours.

En réalité, c’est ma famille qui va être influencée dans le futur. Je suis le dernier fils d’une fratrie de trois enfants. À l’époque, j’étais l’aîné qui s’est expatrié et qui a fait sa vie ailleurs tandis que les deux autres fils vivaient proches de mes parents. Aujourd’hui, je suis le dernier lien familial. Peut-être que mes parents vont changer leur projet de vie, ou du moins, les adapter en fonction du Canada.

Malgré tout, la vie est plus forte que tout. Je vais me remettre à courir après le bus, à critiquer la météo et me plaindre de ne pas dormir assez. Le temps me le dira.
Lucie

Je m’appelle Lucie, j’ai 22 ans et je suis en alternance pour deux ans chez pvtistes.net dans le cadre de mon master en communication et marketing.
Mon interview : https://pvtistes.net/interviews/lucie-equipe-pvtistes/
My name is Lucie, I'm 22 years old, and I'm doing a two-year work-study program with pvtistes.net as part of my Master's in Communication and Marketing.
My interview: https://pvtistes.net/en/interviews/lucie-pvtistes-team/

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