Quels ont été les principaux défis logistiques ou émotionnels auxquels tu as dû faire face dans ces moments-là ?
Concernant mon frère cadet, j’étais en vacances avec ma conjointe en Écosse lorsque mes parents m’ont appelé pour m’annoncer que sa voiture avait été retrouvée par la gendarmerie au pied d’un pont (connu pour ses suicides). Chez n’importe qui, le lien était évident à faire mais pour ma famille et moi, ça n’avait aucun sens. Mon frère vivait non loin du pont, il le traversait presque tous les jours. Il y avait donc une autre explication quant à sa voiture garée à cet endroit. Une panne, une envie de partir, une dispute avec sa copine. Tout sauf la thèse d’un suicide. À la suite de cet appel téléphonique, j’ai donc décidé de poursuivre l’organisation de mes vacances avec ma conjointe tout en gardant le téléphone près de moi. Mon frère ne donnait pas tous les jours des nouvelles à mes parents. Il pouvait s’absenter plusieurs jours avant de se montrer.
Trois jours plus tard, mon séjour s’achevait. Nous n’avions toujours pas de nouvelles. Les vacances n’en ont pas été. J’ai donc annulé mon retour vers le Canada et je suis rentré en France dans les pleurs. Durant le premier mois, nous n’avons eu aucune nouvelle. Mon employeur a été plus que compréhensible et m’a permis de travailler à distance durant la période qui serait nécessaire. Cela me permettait d’occuper mon esprit et de pouvoir continuer à recevoir un revenu pour payer le loyer au Canada. Mes parents ont décidé de m’acheter un nouveau PC qui me permettrait d’effectuer mes tâches professionnelles.
Un jour, ma famille et moi avons reçu la visite de la gendarmerie chez mes parents pour nous annoncer la découverte d’un corps qui correspondait à celui de mon frère. J’ai donc été présent durant les funérailles, mes amis français sont venus dans la région de Nantes pour me soutenir, certains ayant fait la route depuis la Laponie. Mes amis canadiens m’ont soutenu par dizaine de messages. Mes parents étaient là pour moi. J’étais là pour eux. Après les cérémonies, je suis resté 1 mois de plus. Cela a permis à mes parents de ne pas être seuls avec mon frère et aussi de gérer le début des démarches testamentaires.
Pour mon frère benjamin, soit deux ans plus tard, la situation a été différente. Il a été hospitalisé en France suite à une crise d’épilepsie durant laquelle il a été pris de vomissements. Certains de ces vomissements sont entrés dans ses poumons et une hospitalisation a été nécessaire. J’ai donc été informé par mes parents de la crise, chose qu’il faisait occasionnellement. L’hospitalisation m’inquiétait mais encore une fois, à ce stade il n’y avait rien d’alarmant au point de devoir rentrer en urgence. J’ai donc continué de travailler au Canada. Ma mère me parlait tous les jours.
Lorsque mon frère a été admis en réanimation, elle m’a dit que ce n’était pas bon signe. J’ai averti mon employeur canadien de la situation et qu’il se pouvait que je doive partir en urgence prochainement. Ce qui est arrivé. Un jeudi soir, mon père m’a appelé tardivement. C’était donc la nuit en France et il m’a dit qu’il n’y a plus rien à faire. Si je voulais voir mon frère une dernière fois, je devais rentrer rapidement. J’ai raccroché et me suis mis à pleurer. Ma conjointe était avec moi. Nous avons regardé ensemble les billets d’avion. Moi je regardais si atterrir à Paris et prendre le train pouvait être plus rapide tandis qu’elle vérifiait les premiers vols vers Nantes. J’ai trouvé rapidement un billet moins cher qu’elle. Alors je l’ai pris sans réfléchir et j’ai payé avec ma carte de crédit puisqu’il représentait plus d’un mois de loyer.
J’ai réalisé un instant plus tard qu’avec la précipitation, j’avais pris un vol vers Paris et qu’il n’était pas avantageux du tout. Je devais aller à Montréal en bus et prendre un train Paris-Nantes. Nous avons passé tous les deux 4 h au téléphone avec la compagnie aérienne pour leur expliquer la situation, que c’était une erreur et que j’étais prêt à payer la différence pour un meilleur vol plus cher. La compagnie a refusé catégoriquement. Dans le même temps, mon père m’a appelé plusieurs fois. J’ai réussi à parler avec le médecin qui m’a expliqué la situation sans espoir. Dans un autre appel, ma famille et moi nous sommes rappelés et j’ai fait mes adieux par téléphone à mon frère qui était dans un coma artificiel. Nous avons pleuré. Ma conjointe est restée près de moi et ne m’a pas quitté.
Ironie du sort, nous partions tous les deux en weekend pour 3 jours et mon sac était déjà prêt. J’ai simplement ajouté des vêtements pour 3 jours supplémentaires car j’ignorais combien de temps j’allais passer en France. Le lendemain, j’ai averti mon employeur et j’ai quitté le Canada en urgence. Mon frère est finalement décédé 30 minutes avant mon arrivée à l’hôpital.
Et là, le deuil géographique commence. Bien que pour ma famille et moi, les préparatifs funéraires se répètent après seulement 2 ans, je me sens complètement en décalage. Nous retournons dans le même salon funéraire, je retourne involontairement dans le même salon de coiffure, avec la même coiffeuse qui me dit qu’on s’est vus il y a deux ans. Je lui réponds même : “ah bon ?”.
La réalité est que je ne comprends pas ce qui se passe et que je suis convaincu que j’enterre une seconde fois mon frère cadet. J’étais retourné 1 fois en France pour le premier Noël sans mon frère depuis son décès et le décor n’avait pas tant changé pour moi. C’est comme la continuité d’un même cycle. Lorsqu’on évoque le prénom de mon frère benjamin, je suis sur le bord de corriger la personne en lui disant qu’elle veut plutôt parler de mon frère décédé il y a deux ans.
Lors des funérailles, les mêmes amis français reviennent. J’ai les mêmes vêtements noirs qui n’ont pas bougé de ma penderie, ce qui me donne l’impression de les avoir accrochés là la veille. Le deuil de mon premier frère commençait à passer et voilà qu’il se répète parce que je revis malgré moi les mêmes événements dans le même ordre. Je suis en décalage horaire aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. Je fonctionne au ralenti, je manque de force et pourtant je ne trouve pas le sommeil. Les émotions se mélangent et je peine à comprendre ce qui m’arrive.
(1) Commentaire
Merci pour ton témoignage Kevin, je suis sans voix derrière mon écran, je suis tellement désolée pour toi et pour ta famille. Je trouve ton discours très lumineux et positif, bravo à toi pour ce chemin parcouru (non sans embûches je m’en doute).
{{like.username}}
Chargement...
Voir plus