On part vers un nouveau pays avec l’idée préconçue que tout sera parfait, tel un long fleuve tranquille. Pourtant, si j’avais su ce que me réservait cette première année de PVT, je ne l’aurais pas cru. Le 13 juillet 2023, je pouvais enfin clôturer un long chapitre qui a été source de stress et de remise en question. Cette histoire n’a pas duré 2 semaines, mais bien 6 mois. Aujourd’hui, elle n’est pas digérée au complet, je l’admets, mais je suis tout de même prête à partager cette histoire qui est la mienne.

À la fin de l’année 2022, j’ai intégré une société qui, au premier abord, paraissait bien, avait l’air d’avoir une bonne santé financière. Cette première impression s’est vite détériorée. Je vous gâche la fin de l’histoire, mais elle s’est conclue en liquidation judiciaire.

Qu’est-ce qu’une liquidation judiciaire ?

Une liquidation judiciaire survient lorsque l’entreprise n’est plus apte à payer ses créances (employés, fournisseurs, loyers, etc). Autrement dit, il s’agit d’une faillite. Ainsi, la société se retrouve entre les mains d’un mandataire judiciaire qui aura comme mission de payer tous les créanciers et de liquider les biens de la société.

À la suite de cette annonce, je me suis assise un instant pour réfléchir aux points positifs de cette expérience. Des points que j’ai décidé d’intégrer entre les différentes parties du texte pour se rappeler qu’il y a toujours du positif dans tout.

Comment et pourquoi j’ai intégré cette société ?

Commençons par le commencement. Ça faisait déjà quelques mois que j’étais sur le territoire français, toujours sans emploi dans mon domaine. Sans trop penser, j’ai postulé un matin sur un poste plus ou moins dans les communications pour une société dans l’industrie de la mode. La journée même, j’ai reçu un appel pour me proposer un entretien pour le lendemain.

Honnêtement, c’était un bel échange que j’ai eu avec la direction de la boîte. C’est des gens qui paraissaient bien et qui semblaient avoir de l’ambition pour l’entreprise. Un seul truc a inquiété mon instinct, c’était celui qu’une employé quittait l’entreprise. Ça peut paraître anodin comme information, mais pour moi, ça pouvait être un signe d’un environnement professionnel toxique. Mais ma situation ne me permettait pas de refuser un job, j’ai alors commencé 3 jours après. La direction m’avait aussi promis que j’allais pouvoir créer mon expérience en communication avec eux, ce qui m’a donné encore plus le goût de sauter le pas. J’ai alors signé un contrat de 6 mois.

Le premier mois

Avec du recul, je me rends compte que la direction avait bien déguisé son entreprise et son style de management la première semaine. Travail dans des lieux de coworking, un téléphone de société, une semaine de travail assez varié ou bien des projets d’envergure pour les prochains mois. Tout ça s’est vite envolé. Le premier jour, j’ai rencontré mes autres collègues, qui avaient tous un air perplexe face à ma présence.

Le premier mois, c’était beaucoup d’apprentissage. Je m’occupais principalement de la rédaction des fiches produits. Au fil du mois, la direction me confiait d’autres missions qui s’accumulaient sur une pile bien haute. Déjà, je ne savais pas sur quel pied danser le premier mois. Ce sentiment s’est accentué lorsque j’ai remarqué que mon travail n’était pas du tout pris en compte. De base, je me considère comme une excellente employée qui apprend vite et qui fait toujours le travail demandé. Ici, j’étais assez confuse de ne pas me sentir à la hauteur.

« J’ai appris de nouvelles choses. Entre autres, je connais maintenant un tas de termes du milieu du textile. Par le fait même, j’ai appris à utiliser Prestashop, à savoir comment fonctionne un e-commerce. Aussi, je sais maintenant comment s’organise un shooting photo, le lancement d’une collection, les achats, etc. »

Un jour, pour la petite anecdote, la direction m’a demandé de préparer le visuel pour la nouvelle collection. Je lui ai fait remarquer que les fiches produits n’étaient pas finies d’être écrites. Elle m’a dit : « ne t’inquiète pas, je vais le faire, occupe-toi du visuel. Reste en télétravail demain. ». Le lendemain matin, la direction m’appelle en panique parce que les fiches ne sont pas finalisées. Elle m’indique aussi qu’ils ont dû tout recommencer le visuel, parce que selon eux, ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire. Ironiquement, il a été fait comme ils me l’ont appris… Elle m’a également dit : « tu ne peux pas rester en télétravail quand il y a du travail comme ça à faire, je t’attends au bureau pour travailler ». Vous pouvez avoir une idée de l’ambiance, le sentiment de culpabilité que j’ai eu et ce n’est qu’une anecdote parmi tant d’autres…

« Durant cette expérience professionnelle, j’ai appris à arrêter de me culpabiliser pour rien. Même si je sais très bien prendre un pas de recul et reconnaître mes erreurs, ce n’est pas de ma faute si quelqu’un est inconditionnellement insatisfait, que mes idées ne soient pas prises en compte, que mes créations soient supprimées ou que le projet prenne une tournure sans prévenir… ça m’est arrivé de façon trop récurrente dans cette société. Je me rappelle d’avoir dit à mes supérieures : « j’ai l’impression de ne pas être assez, de ne pas exceller dans ce que je fais ». La reconnaissance au travail est si précieuse, que ce soit pour soi-même ou envers ses collègues. »

L’importance d’être bien entouré

Un déménagement d’entrepôt était prévu, un mois après mon arrivée. Ainsi, nous devions y aller régulièrement pour préparer les cartons. La première fois, la direction avait une crainte vis-à-vis de ma présence à l’entrepôt. Selon eux, les personnes qui travaillaient là étaient « malveillantes ». Je dois l’avouer, la première fois je ne me suis pas senti accueillie, acceptée. Peut-être que ce n’était que le résultat d’un effet placebo. Au cours des semaines qui ont suivi, je m’y rendais seule et j’ai fini par me lier d’amitié avec eux. J’imagine que la direction voulait diviser pour mieux régner. Ainsi, je me suis vite rendu compte que la société ne tournait vraiment pas rond, que plusieurs choses sont arrivées dans le passé qui allaient à l’encontre de mes valeurs.

Une journée, j’ai été retrouver un collègue dans un café pour travailler. Il s’est exclamé subitement en disant : « Je n’en peux plus ! ». On m’a tendu la main et je l’ai prise. J’ai alors demandé pourquoi et sans surprise, il n’en pouvait plus par rapport à la direction. C’est à ce moment que je me suis sentie plus légère. Je me suis rendu compte que je n’étais pas seule à expérimenter ce que je vivais. Il m’a dit : « quand on est plusieurs à ressentir la même chose, ce n’est plus un ressenti, mais une réalité ».

Pour confirmer encore plus ce ressenti, un week-end, j’ai été retrouver des amis en Belgique. Je me suis confiée sur mon job. Un de mes amis m’a dit : « mais, tu te fais abuser, ce n’est pas normal ». Ils m’ont également fait remarquer qu’il y avait des trucs qui n’étaient pas légaux dans leur façon de faire, comme ne pas payer les heures de déplacement ou de dire le matin même de se déplacer autre part.

« Ce point-ci je l’ai toujours su, mais il a été encore plus parlant dans cette expérience : l’importance des collègues. Le support et la force que l’on a eu ensemble est indescriptible. C’est tellement rassurant lorsqu’on se rend compte qu’on n’est pas les seuls à ressentir ou expérimenter certaines choses dans un milieu professionnel. Je serai toujours reconnaissante de ces personnes que j’ai côtoyées (principalement à distance). Sans oublier mes proches ici en France et en Belgique, et ceux lointains au Québec qui ont su être là pour moi. »

La violence psychologique au travail

Oui, la violence n’a pas besoin d’être physique pour en être. La violence psychologique est malheureusement encore mal connue dans nos sociétés et parfois trop tolérée. Elle est caractérisée par des gestes qui s’expriment sous différentes formes et ils ne sont pas forcément fréquents. Au vu de sa non-récurrence, elle est assez sournoise. Ce que le salarié vit est souvent perçu comme un ressenti et non comme une volonté de nuire de la part de la personne qui inflige la violence psychologique.

L’élément déclencheur

Le mois d’après, une nouvelle personne a commencé à s’intégrer de plus en plus dans la société. C’était assez vague la fonction de cette personne. En fait, nous n’avions aucune idée si elle était salariée ou juste là pour aider. La direction a commencé à lui confier les missions de communication, malgré le fait que cette personne n’avait aucune étude ou connaissance dans ce domaine. Surtout, il y avait déjà moi pour s’en occuper. Ainsi, ils m’ont confié le déménagement désastreux, qui a engendré une grosse crise du côté du service à la clientèle. La direction me refilait également les créanciers (déménageur, modèles, concours, etc …) à qui de l’argent était dû, comme si j’avais un pouvoir de paiement.

Comme dit plus haut, il arrivait souvent que la direction change d’idée sans prévenir, décidant qu’il y avait une autre tâche plus prioritaire. Avec plus de 70 courriels de clientes mécontentes à gérer toute seule, la direction m’a dit que ce n’était pas du tout la priorité. Toutefois, elle n’avait aucune idée de l’ampleur de cette crise. La direction préférait s’occuper des missions sympas, comme les nouvelles collections et les séances photos. Patience à ses limites, c’était la goutte qui a fait déborder le vase.

Je me suis surprise à monter le ton et à exprimer mon désarroi, à littéralement vider mon sac. La direction m’a dit « tu n’avais qu’à le dire si tu en avais trop », et pourtant, quand j’essayais d’être en contact avec eux, ironiquement, ils ignoraient mes messages. Après 2 mois à essayer de m’adapter, trouver une solution pour une meilleure communication, je me suis rendu à l’évidence, que c’était peine perdue et que le problème ne venait clairement pas de moi.

« J’ai appris à exprimer mes émotions clairement. Dans le passé, les larmes surgissaient lorsque j’étais en colère, lorsqu’une situation me frustrait. Aujourd’hui, je sais identifier mon émotion et la communiquer de façon précise, toujours dans le respect bien sûr, sans qu’elle soit interférer par une autre. Par ailleurs, j’ai surtout appris à mettre mes limites. C’est correct de dire non au travail, on n’est pas des machines. »

Plus haut, je fais mention de la violence psychologique. Avec du recul, j’ai vraiment l’impression que j’étais en relation toxique avec mon employeur. Au début, tout est beau, presque parfait. On t’en met plein la vue. Au fil du temps, tu commences à remarquer des lacunes, mais tu essaies de te convaincre que ça ira mieux. Et puis on te donne un peu de miettes, ça te donne de l’espoir, mais ça finit toujours par recommencer. C’est un cycle sans fin. Tu es économiquement dépendant de ce job. Ce n’est pas si facile que ça de quitter son emploi quand tu n’as pas de plan B. De mon ressenti, ce que cette société m’a fait vivre, c’était de la violence psychologique.

Le bateau qui coule petit à petit

3 mois plus tard, une de mes collègues quitte le navire. De notre côté, nous, le reste des employés, commençons à se douter que quelque chose se trame. En effet, la direction ne nous calculait plus, elle ne se préoccupait plus de ce qu’on faisait. Un jour, je me rends compte que la personne la plus haut placée a mis une date de fin à son expérience avec la société sur LinkedIn. Mon autre collègue, elle, remarque aussi que cette même personne de la direction se crée un nouveau CV sur le Canva de la société. C’étaient des signes bien évidents que l’entreprise allait éventuellement fermée.

Le jour où tout s’est écroulé

Après plus ou moins deux mois à ne pas être calculé, une de mes collègues en avait marre et a demandé ce qu’il se passait. De là, la direction nous a convoqué à un appel d’équipe. Après 10 minutes à tourner autour du pot, ils finissent par nous dire que la société ferme, « qu’elle n’est plus rentable ». Un tribunal était prévu 2-3 jours plus tard, mais malgré cela, nous devions continuer à travailler.

Jour du verdict, la direction ne nous a pas donné de nouvelles, nous avons dû réclamer nous-même ce qui en était : liquidation judiciaire. La direction nous a indiqué qu’il n’y avait pas encore de mandataire d’attribuer et que nous devions continuer à travailler. Encore une fois, c’était un bien beau mensonge.

Nous avons réussi à avoir le contact du mandataire (non, pas par la direction). La secrétaire du cabinet remarque que je n’ai pas de numéro de sécurité sociale à mon dossier. Elle me dit : « pas de sécurité sociale, pas de prise en charge par l’agence de garantie des salaires (AGS) ». Paniquée, surtout parce que je n’avais pas reçu mon salaire du mois dernier. Confuse, parce que ça ne fait pas de sens de ne pas payer quelqu’un qui a travaillé. Mon réflexe a alors été de contacter l’ambassade canadienne à Paris. Ils n’avaient jamais eu ce genre de cas, mais heureusement, ils ont pris mon problème très au sérieux en le transférant au ministère de l’Intérieur.

La course à la sécurité sociale

Une semaine plus tard, nous étions convoqués chez le mandataire judiciaire. La secrétaire m’indique encore une fois que sans sécurité sociale, je ne pourrai pas toucher à l’argent malgré le fait que j’ai travaillé. Avec beaucoup de persévérance, j’ai réussi à obtenir un rendez-vous assez rapidement à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). À mon rendez-vous, j’ai expliqué mon problème. Dès que j’ai précisé le type de visa que j’avais, il m’a interrompu en disant : « ah non désolé, je ne peux rien faire, vous n’avez pas le droit à la sécurité sociale ».

J’ai craqué. C’était la seule façon pour que j’obtienne un numéro. « J’ai envie de dire que vous n’avez vraiment pas de chance » m’a-t-il dit. Je suis retournée chez moi, complètement impuissante, sans contrôle sur la situation. La secrétaire du mandataire m’a rappelé… Elle était désolée pour moi.

La panique s’est emparée de moi, littéralement. Je me répétais que je finis toujours ok malgré tout. Prenez moi pour une folle si vous voulez, mais j’ai dit à haute voix : puis-je avoir au moins une bonne nouvelle aujourd’hui. Croyez-le ou non, mais 10 minutes plus tard, j’ai eu un appel d’un numéro inconnu. C’était le ministère de l’Intérieur, « ne vous inquiétez pas, nous allons trouver une solution… vous allez recevoir vos salaires ».

Et après cette expérience ?

Après coup, j’ai eu beaucoup de haine envers la direction. Je m’en voulais aussi d’être restée si longtemps dans cette société, de m’avoir fait subir ça. Le 13 juillet est la journée où j’ai pu clôturer cette histoire, car c’est ce jour-là où j’ai reçu le dernier virement qui m’était dû.

Je vous épargne pas mal de détails, mais il faut se rendre à l’évidence qu’il n’est pas normal au travail :

  • de se sentir toujours rabaissé ;
  • que la direction parle mal de ses employés ;
  • que la direction t’appelle en dehors de tes heures de travail ;
  • de ne pas savoir si tu vas être payé le mois prochain ;
  • de se faire prendre pour un yoyo, de marcher sur des oeufs ;
  • d’être jamais motivé, d’avoir le moral à zéro ;
  • etc.

Une part de moi se dit que je dois être reconnaissante envers cette société de m’avoir offert ce job (malheureusement empoisonné). Une autre partie de moi se dit comment puis-je avoir encore de l’empathie pour ces personnes ou leur donner un rôle important dans ma première année en France ? Je suis encore confuse du pourquoi du comment j’ai vécu cette expérience. Je crois que le plus troublant n’est pas la liquidation judiciaire en soit, mais bien l’ensemble.

La moral de l’histoire

J’espère profondément que cette situation de relation toxique au travail n’arrivera à personne d’autre. Le PVT est une expérience unique limitée dans le temps. Ne vous acharnez pas dans un emploi qui ne vous épanouit pas, même s’ il est dans votre domaine. Vous n’êtes pas à l’étranger pour vous « gâcher la vie », vaut mieux faire un autre petit boulot en attendant une meilleure opportunité.

Comme l’un des plus grands créatifs l’a si bien dit :

« Votre travail va occuper une grande partie de votre vie, et la seule façon d’être vraiment satisfait est de faire ce que vous considérez comme un excellent travail. Et la seule façon de faire du bon travail est d’aimer ce que vous faites. Si vous ne l’avez pas encore trouvé, continuez à chercher. »

– Steve Jobs

Meghan

Je suis Meghan, rédactrice web pour Pvtistes. Je suis Québécoise, originaire de la Côte-Nord. Je suis en PVT France depuis un peu plus de 1 an déjà. Je me suis installée dans le département du Nord, à Lille.

I’m Meghan, a writer for Pvtistes. I’m originally from the Côte-Nord region of Quebec. For my working holiday, I settled in Lille, the Nord department of France, and I’ve been here for just over one year now.

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