Précédents articles, récits et créations
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Récit : un mois de road trip sur la côté est australienne
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Récit : zucchinis, zucchinis, zucchinis… la cueillette de courgettes
Article : ramasser des courgettes dans le Queensland
Récit : pumpkins, pumpkins, pumpkins… la cueillette de citrouilles
Article : Un road trip dans l’Outback : Uluru et le désert
Récit : Darwin, Kakadu et compagnie…
Article : De Darwin à Perth – la côte ouest australienne
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Après être arrivé à Perth et avoir traversé une bonne partie de l’Australie, il était temps pour moi de me mettre de nouveau à chercher du travail. Après les difficultés que j’avais pu rencontrer à Cairns lors de ma recherche d’emploi, inutile de dire que l’idée de me replonger dans le monde merveilleux de Gumtree et du démarchage de restos, ne m’enchantait pas des masses. Mais, mes finances ayant sérieusement baissé après deux mois de vacances et le climat étant plus propice à boire des soupes de tomate devant la cheminée qu’à aller « chiller » sur les plages de Freemantle, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Heureusement, ma période de chômage se révèlera bien plus courte que prévu.
Après seulement deux jours passés à envoyer des e-mails de candidature, je reçois un SMS constitué d’un seul et unique lien internet. Il s’agit d’une ferme de fraises située à Bullsbrook, à à peine une heure de Perth (en haut à droite de la carte).
Le recrutement se fait par internet. Il suffit de s’inscrire sur le site et d’y indiquer son nom, ses coordonnées et le jour de son arrivée. C’est tout. Pas d’essai, pas d’entretien, pas même un appel téléphonique. Juste un e-mail préfabriqué pour me dire que je suis désormais strawberry picker et que je suis censé me présenter à 9 h à la date que j’ai choisie lors de mon inscription.
Mon expérience de fruit picking étant jusqu’ici assez mitigée, ce n’est pas vraiment le travail que j’aurais choisi en priorité. Mais un travail, même ingrat, reste malgré tout bien mieux que de glander éternellement dans ma coloc’.
Je me présente donc le jour J à l’endroit où un bus est censé ramasser les pickers. A mon arrivée à la ferme, je remarque tout de suite que cette dernière ne joue pas dans la même catégorie que ma petite ferme de zucchinis. Deux hangars immenses, des strawberries à perte de vue et quelque 250 employés. Il s’agit de la plus grosse ferme de fraises du Western Australia.
Un Italien du nom d’Alex nous accueille, moi et d’autres nouveaux. Il nous donne quelques précieuses informations à propos de la ferme et de notre futur travail. J’apprends donc que je serais payé au rendement. 1,70 $ brut pour 3 kg de fraises, auquel je retire 11 $ par jour pour payer mon logement. Les pickers travaillent de 7 h à 17 h 30 et les packers (empaqueteurs) de 9 h à 22 h (oui, vous avez bien lu, ce n’est pas une faute de frappe). Ma première journée sera composée d’une heure de picking et d’une heure de packing, à la suite de quoi je serais autorisé à choisir entre les deux. Après cette journée d’initiation, suivra quatre jours d’essai pendant lesquels je pourrai choisir de partir à tout moment si le travail ne me convient pas.
En revanche, une fois passé ces quatre jours, un préavis de deux semaines sera nécessaire pour quitter la ferme. Si un picker décide de partir sans donner de préavis, le salaire de ses deux dernières semaines ne sera tout bonnement pas viré sur son compte.
Je commence donc ma journée d’initiation par le picking. Chaque picker dispose d’un chariot permettant d’empiler les cagettes de fraises les unes sur les autres. Il se place au milieu d’une rangée et cueille toutes les fraises qui sont à plus de 50 % rouges. Les strawberries pourries ou abimées vont dans la cagette des « trashs », qui est payée comme une cagette normale. Le picker a également pour mission d’arracher les weeds, les mauvaises herbes. Si un picker arrache beaucoup de weeds sur sa rangée, un bonus d’une ou plusieurs cagettes lui sera attribué.
A la fin de la rangée, un superviseur compte le nombre de cagettes, de trashs et de weeds et vérifie que les cagettes ne sont pas trop remplies de mauvaises fraises (d’où l’intérêt d’être en bon terme avec les superviseurs). J’effectue ma première rangée sans trop de difficulté. Comparé aux zucchinis, ramasser des fraises s’apparente plus à une promenade de santé. C’est rouge, pas trop feuillu et ça sent bon. On est certes baissé toute la journée, mais après avoir passé deux mois à ramasser zucchinis et pumpkins, je suis quelque peu blasé des douleurs de dos.
Je passe ensuite à une heure d’essai dans la salle de packing. Le boss de la ferme ne m’a pas autorisé à la prendre en photo, donc il va falloir faire travailler votre imagination. Rien à voir avec le ridicule tapis roulant de ma précédente ferme. La packing room est composée de dizaines de petites tables où les packers s’attèlent consciencieusement à empiler des fraises dans de petites barquettes. Une fois la barquette remplie, le packer doit la peser et la placer dans une grosse boite. En remplissant une de ces grosses boites, le packer gagne 80 $. Après une heure de packing, ce que je pensais être un boulot facile et reposant s’est finalement avéré être un enfer.
J’ai passé mon temps à retirer des fraises de ma barquette pour les remplacer par d’autres afin que ma barquette pèse le poids suffisant (entre 270 et 300 grammes). Ce travail est d’un ennui mortel et demande trop de délicatesse pour la grosse brute sanguinaire que je suis. Faire ce job 13 heures par jour, dans le vacarme assourdissant des machines et des chariots élévateurs est tout bonnement impossible. Je n’ai qu’une envie, retourner dehors, et respirer l’air vivifiant et parfumé de ces magnifiques champs de fraises pleins de pesticides.
Une fois cette journée d’initiation passée, je découvre enfin les lieux qui vont me servir de logement. C’est en découvrant ma chambre que j’ai sérieusement pensé à rentrer à Perth. Il s’agit d’une pièce de neuf mètres carrés, sans fenêtre, avec quatre lits superposés sur lesquels ont été posés de vieux matelas dégueulasses d’à peine 10 cm d’épaisseur.
Des graffitis comptent les jours sur les murs, le sol est recouvert d’une épaisse couche de terre et de poussière et l’odeur de pied qui règne dans la pièce me rappelle l’abominable parfum des cours d’acrogym du collège. On dirait une cellule de prison. Je me rends d’ailleurs compte assez vite que la vie dans ma ferme est très similaire à l’univers carcéral. Comme du bétail, chaque picker est appelé par un numéro.
Je suis pour ma part le prisonnier n° 1957. Heureusement, les superviseurs ont généralement la gentillesse de se souvenir de notre prénom. Les travailleurs se regroupent (hélas) par nationalités. Le gang des Anglais fait de la muscu, le gang italien squatte les vans, tandis que Français et Chinois règnent chacun sur une des cuisines.
Une cuisine qui est d’ailleurs constamment inondée et souvent accompagnée de cette délicieuse odeur de toilettes de festival.
On notera également les trois douches, installées dans un simple container, et dont le sol est tellement sale que le simple fait de marcher par terre rend le lavage de pied absolument inutile. J’attire bien votre attention sur le chiffre 3. Je rappelle à tout hasard que le nombre de personnes travaillant dans la ferme est de 250.
Je ne vous parle pas des toilettes, parce que vous êtes peut être en train de manger. Sachez juste qu’à l’instar des téléphones ou des cigarettes en prison, le papier toilette est une denrée rare. Celui qui en possède plusieurs rouleaux est rapidement considéré comme un des boss de la ferme.
Ajoutons à cela l’impossibilité de quitter la ferme sans préavis, et la sensation d’être emprisonné dans un pénitencier prend alors tout son sens. A tel point que je ne prenais jamais ma douche sans m’être préalablement armé d’un couteau fabriqué avec une brosse à dent et un bout de miroir. On n’est jamais trop prudent.
Au final, malgré des conditions de vie un peu rudes, je décide de rester plus de quatre jours. Les journées de travail sont longues, et le salaire proche du SMIC pakistanais. J’ai rempli 50 cagettes lors de mon premier jour. Soit un total de 85 $ à la journée, ce qui fait un vieux 9,40 $ de l’heure bien moisi.
Heureusement, après quelques jours, je prends peu à peu le rythme pour atteindre une moyenne de 70 cagettes par jour.
Certains pickers passent la barre des 100. Ces derniers font partie des rares travailleurs à bien gagner leur vie. Très vite de petites techniques permettent à tous les pickers d’augmenter légèrement leur nombre de cagettes journalières. Garder discrètement une cagette dans son chariot pour la faire compter une deuxième fois, remplir le fond des boites avec des fraises pas mûres, remplir de moitié certaines cagettes, puis prier pour que le superviseur ne le remarque pas, etc.
Sans aller jusqu’à être agréable, le travail en lui-même se révèle bien moins pénible que le picking de courgettes. Sans doute grâce aux libertés que l’on nous accorde au travail. Chacun va à son rythme, est autorisé à écouter de la musique, à discuter, à prendre des pauses quand bon lui semble, à balancer des fraises à son voisin ou à en grignoter quelques unes. Mais autant de libertés peut aussi avoir des effets pervers. Notamment lorsque l’on commence à se rendre compte que le fait d’arriver en retard, de partir en avance ou de ne pas venir du tout, n’a aucune importance aux yeux des managers de la ferme.
Du coup, après deux semaines de sérieux, la tentation de rester plus longtemps au lit a rapidement fait son apparition. Trop de pluie, trop de soleil, pas assez de fraises, trop de trucs à faire, trop de flemme. Tout devient un prétexte pour rester glander dans la cuisine à boire du café et à jouer au trouduc’. Ce n’est malheureusement pas le cas des packers, pour qui chaque retard ou erreur est aussitôt sanctionné. Face aux absences successives d’une bonne poignée de pickers, le manager de la ferme a bien essayé de prendre des mesures en nous menaçant d’enlever des jours de travail (sur le formulaire qui permet de prétendre au 2nd WHV en Australie) pour les pickers qui n’iraient pas travailler, mais ca n’a pas changé grand chose au final.
Il est tellement dur pour la ferme de trouver des gens qui acceptent de travailler plus de quatre jours qu’elle ne peut pas se permettre de licencier des pickers.
J’aurais finalement tenu 1 mois dans cette ferme. Après avoir ramassé très exactement 4 458 kg de fraises, j’ai finalement choisi de rejoindre la civilisation. Malgré mon salaire minable (environ 2 000 $ après taxe), les logements rudimentaires et ces milliers de mouches qui m’ont rendu limite nervous breakdown, je tire un bilan plutôt positif de cette expérience en ferme. Principalement grâce aux gens que j’ai pu rencontrer là- bas. Même si je n’ai pas fait fortune, je me suis bien marré, et c’est le principal.
(7)Commentaires
Comme quoi je pense que mon choix de commencer par du Helpx est une bonne idée.
était dans un état indescriptible.
Ceci dit ceux la sont pas mal non plus!
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