Avec 2 de ses villes dans le top 3 mondial (Tokyo et Osaka), le Japon est l’un des pays les plus sûrs au monde. Et c’est vrai que l’on s’y sent en sécurité. Pourtant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucun risque, et c’est ce dont nous allons parler aujourd’hui. Loin de nous l’idée de vouloir vous inquiéter, mais puisqu’il est préférable de prévenir plutôt que de guérir, nous souhaitons vous alerter sur un danger dont les pvtistes ou les étudiants au Japon pourraient être la cible : les mouvements sectaires.

Les sectes au Japon : panorama de la situation actuelle

Récemment, la question des sectes est revenue sur la table après l’assassinat de Shinzo Abe en juillet 2022. En effet, son assassin a justifié son acte car il en voulait à la secte Moon dont sa mère était membre (et à qui elle avait fait de nombreux dons jusqu’à l’endettement). Il pensait que le Premier Ministre était lié à celle-ci. 

Il est vrai que la relation entre les sphères du pouvoir nippon et les différentes sectes est un sujet très controversé. Le Parti libéral-démocrate (aujourd’hui à la tête du pays) affiche des liens avec des sectes comme la Sōka Gakkai, elle-même propriétaire d’un des plus grands quotidiens du pays. On comprend donc l’influence importante qu’exercent ces groupements religieux dans les sphères médiatiques et politiques.

Comment expliquer la présence des sectes dans de nombreux aspects du quotidien des Japonais ? 

D’abord, il faut savoir que le mot « secte » n’a pas le même sens au Japon que celui qu’on lui donne en France ou au Canada. Si, chez nous, ce terme est obligatoirement péjoratif, au Japon cela fait référence à des branches des principales religions et notamment du bouddhisme, qui se veulent prosélytes tout en mélangeant différentes idéologies. Ici, elles sont plutôt acceptées du fait de la tolérance religieuse des Japonais (qui sont souvent à la fois de confession shinto et bouddhiste).

Avant la Seconde Guerre Mondiale, l’État n’hésitait pas à intervenir lorsqu’un groupe religieux gagnait en influence, de peur de voir croître des discours antinationalistes. Une fois la guerre terminée, au contraire, l’armée d’occupation états-unienne interdit le shintoïsme d’État pour faire barrage à un sentiment nationaliste, vu comme l’une des origines du militarisme nippon. En bref, après la guerre, on décide de garantir la liberté de religion et l’Église et l’État se séparent. 

C’est dans ce contexte que ces sectes ont émergé. Définies comme des « Shinshūkyō » (= « nouvelles religions »), elles bénéficient d’avantages juridico-fiscaux (notamment d’une exemption de taxe) ainsi que d’une absence de regard sur leurs activités. Cela leur permet d’investir dans de nombreux marchés comme les universités, les médias (journaux, éditions) ou des magasins. Aujourd’hui, difficile d’avoir un chiffre fiable d’adeptes, mais on en compterait plusieurs millions.

Vous pourrez retrouver ici une liste des différentes sectes du Japon.

La volonté de ne pas s’immiscer dans les affaires religieuses de la part de l’État est telle que très peu de sectes ont été visées par des enquêtes gouvernementales. Certaines n’y ont tout de même pas échappé. Ce fut notamment le cas de la secte Aum Shinrikyo, après que ses adeptes ont commis un attentat au gaz sarin dans le métro tokyoïte en 1995.

Il existe donc un certain flou qui leur permet de prospérer et de cibler de potentiels nouveaux membres. 

Pour essayer de comprendre leurs techniques, nous vous partageons deux témoignages de pvtistes : Lucille et Louis.

Le témoignage de Lucille : 

 

« Bonjour,

 

Je veux vous raconter quelque chose qui m’est arrivé hier, rien de grave mais ça aurait pu l’être. 

 

Je n’avais pas connaissance des sectes japonaises avant que cela m’arrive, j’espère que mon histoire pourra informer certaines personnes et qu’elles pourront éviter une situation désagréable, voire dangereuse, grâce à mon témoignage. 

 

Je suis en Permis Vacances-Travail, seule, depuis deux semaines, j’ai 20 ans et je suis française. Je parle l’anglais et j’apprends le japonais. Cette semaine je suis à Shimoda, sur la péninsule d’Izu. Il n’y a pas de touristes ici, du moins pas à cette saison. 

 

Je me promenais hier après-midi, au bord de la mer, et il y avait un temple, mais personne aux environs. J’ai croisé deux Japonaises, habillées, de mon point de vue, élégamment, avec des jupes longues et des petites vestes de costumes. Elles m’ont abordé en me demandant ce que je faisais là, toute seule. 

 

L’une d’elles ne parlait pas, l’autre parlait anglais. Elle m’a dit qu’elle s’appelait Maki, que mes tatouages étaient très jolis et qu’elles voulaient prendre une photo. Je pensais qu’elles voulaient que je les prenne en photo. Finalement, elles ont pris chacune leur tour une photo avec moi.

 

Maki était vraiment très gentille, l’autre ne disait rien, souriait seulement. Elle s’est intéressée à moi, m’a demandé ce que je faisais au Japon et quel était mon intérêt à venir voyager ici. Ce qui m’a mis en confiance, c’est qu’elle prenait le temps d’écouter mes réponses, qui étaient assez développées. Elle m’a dit qu’elle avait des amis français ici et qu’elle aimait beaucoup notre culture. 

 

Elle m’a demandé ce que je faisais le soir même et, puisque je n’avais rien prévu, je lui ai dit que j’étais disponible. Elle m’a demandé si on pouvait se revoir pour boire un verre quelque part. Elle m’a demandé mon Line (équivalent de WhatsApp au Japon) pour m’envoyer les photos. J’ai dit oui. 

 

Vers 15 h 30, elle me recontacte en m’envoyant les photos et en me disant que nous pourrions éventuellement aller manger toutes les deux dehors. J’accepte. Elle voulait absolument mon adresse pour venir me chercher avec sa voiture. À ce moment-là j’avais un mauvais pressentiment.

 

J’ai tendance à être très « parano » alors je me suis dit que c’était dans ma tête et qu’il fallait que je m’ouvre. Je ne lui ai pas donné l’adresse, j’ai dit que je préférais marcher, que nous allions nous rejoindre quelque part en ville (je pensais, un endroit où il y aurait du monde…). Elle insiste quand même pour venir me chercher, mais je ne savais si c’était de la courtoisie ou non. 

 

Me voilà partie de l’hôtel. Nous nous étions donné rendez-vous quelque part, en face d’un parc. Lorsque je suis arrivée elle m’a dit de monter dans la voiture, que nous allions manger des sushis. Je lui ai dit que je ne voulais pas monter dans sa voiture que je préfèrerais marcher. Elle m’a répliqué qu’elle n’avait pas le temps. Étrange.

 

« Mangeons ici ! » dis-je, puisqu’il y avait un restaurant en face de nous. Elle est allée à la voiture et une tête est apparue. Il y avait quelqu’un d’autre avec elle. Elle s’est approchée. C’était une dame assez âgée. Elle a fourché en disant son prénom. J’étais terrifiée et coincée, mais j’ai gardé mon sang froid. Elle m’a dit qu’elle me paierait tout ce que je voulais manger. 

 

Nous avons commandé plusieurs choses, mais je n’avais pas faim. Je lui ai fait la conversation pendant une heure, je n’ai pas touché mon assiette et je n’ai pas touché au verre qu’elle m’a offert (elles n’allaient pas m’empoisonner mais j’étais anxieuse). Elle me posait des questions très intimes, par rapport à ma famille, ma religion, ma vie en général.

 

Sur la main, j’ai un tatouage qui est écrit en katakana. C’est le nom de mon grand-père. Elle a compris que c’était une faiblesse pour moi, qu’il était parti. Elle m’a demandé si je souffrais toujours. J’ai compris ce qu’elle cherchait, alors j’ai dit que ça ne me faisait plus de mal. Elles regardaient leurs sacs, comme si elles allaient en sortir quelque chose. 

 

J’avais peur. J’ai prétexté aller aux toilettes pour envoyer un message à mon amoureux, qui est en Suisse, juste pour le prévenir que j’étais dans l’embarras. Quand je suis revenue, elles avaient sorti des cartes avec des versets de la Bible et des cadeaux (cookies, photos, origamis). Maki m’a dit de la recontacter dès que j’avais besoin de quelque chose, qu’elle serait là pour moi et que nous allions nous revoir. Elle m’a dit de partir, qu’elle allait payer. 

 

Je suis rentrée à l’hôtel, j’ai tout raconté à la gérante qui est adorable et qui m’a dit que je devais être prudente. J’ai montré la photo de moi et de Maki. Elle m’a dit que les femmes de cette secte ne portent que des jupes très longues. En tant qu’Occidentale, je voyais juste des Japonaises avenantes et bien habillées.

 

Je me sens bien dans ma peau et je suis entourée de mes proches, même s’ils sont loins, mais si cela arrivait à quelqu’un de plus faible que moi, cela pourrait aller bien plus loin. J’ai lu des articles au sujet des sectes au Japon et visiblement il y en a énormément car il n’existe pas de lois pour les sanctionner ou du moins c’est assez flou pour les autorités japonaises. »

 

Le témoignage de Louis 

 

« C’était pendant le confinement. Je me baladais au Big Caméra (ndlr : un magasin d’électronique) et je cherchais des jeux pour ma console Switch. Deux hommes m’ont abordé en japonais et m’ont demandé à quoi je jouais sur ma Switch. Je me suis dit que c’était l’occasion de parler la langue. 

 

Après avoir discuté, ils m’ont proposé de manger ensemble, dans un restaurant de ramen qui n’était pas loin. Je me suis dit « pourquoi pas, si ce n’est pas loin ». Pourtant, on se retrouve à prendre le métro. Pour le « pas loin », on repassera. 

 

On arrive dans une station que je ne connais pas. C’était assez paumé. Les hommes m’emmènent dans un Family’s restaurant, l’équivalent d’un Denny’s mais chinois. Bref, pas un très bon restaurant comparé à ce qu’ils m’avaient raconté. 

 

On discute au restaurant de tout et rien. Au bout d’un moment, ils me demandent si j’aime bien les sakuras (ndlr : les cerisiers en fleurs japonais). Je dis que oui. Ils me disent alors qu’ils connaissent un temple avec un énorme sakura et qu’on peut y aller ensemble. J’ai cru qu’ils allaient me montrer les différents rituels japonais que je voulais découvrir, lorsque l’on tire la corde, la manière de prier au temple, etc. Donc, je me suis dit « ok, allons-y ». 

 

Cette fois-ci, le lieu était proche. De loin, j’ai tout de suite capté lorsque j’ai vu le bâtiment que quelque chose clochait et que ce n’était pas un temple. Sur le chemin, je ne voulais pas partir. Je n’avais pas peur pour ma vie mais je ne voulais pas être impoli et partir comme ça et qu’ils s’énervent. Donc je les ai suivis jusqu’au bâtiment.

 

Les hommes m’ont donné un petit calepin, une sorte de livre religieux pour leur secte bouddhiste. Ils m’ont donné un petit collier que je devais mettre entre les mains. On m’a dit qu’il fallait que je lise le texte devant une grande statue de bouddha. Ils me disaient que « le grand bouddha » voulait « me voir ».

 

À partir de là, j’ai commencé à dire que je ne savais pas vraiment lire le japonais. On m’a répondu que ce n’était pas grave et qu’ils avaient le texte en anglais. J’essayais de dire que je n’avais pas très envie et je commençais à partir. 

 

Quand ils ont vu que je commençais à partir, ils m’ont rattrapé et m’ont dit en anglais « est-ce que tu connais le sens de ta vie ? ». Là j’étais convaincu que c’était une secte. 

 

J’ai répondu « je ne sais pas » et je suis parti.  

 

Avec du recul, je me suis rappelé que lorsque l’on mangeait, les hommes essayaient de me poser des questions simples avec mon japonais qui était assez nul. Ils me demandaient où j’habitais, à quel étage. Moi je répondais à tout. Je le voyais juste comme un moyen de pratiquer mon japonais.

 

Finalement, ils n’ont jamais rien fait avec ces informations, mais, avec le recul je me suis rendu compte que je leur avais tout dit. En fait, c’était la plus grosse secte du Japon, la Sōka Gakkai. »

Les techniques de recrutement / prise de contact

Au vu des retours de ces deux pvtistes, on semble percevoir plusieurs dénominateurs communs dans les techniques de prise de contact : 

  • une rencontre qui semble anodine, qui aboutit sur une discussion et une invitation à se revoir ;
  • des questions personnelles ;
  • des invitations dans des cafés ou restaurants, où l’on propose de payer pour nous ;
  • l’utilisation de l’intérêt de la victime pour la culture japonaise comme appât ;
  • une démarche graduelle, qui vise à mettre en confiance.

Toujours dans cette idée de mise en confiance, c’est peut-être un détail, mais ce sont des femmes qui ont approché Lucille, et des hommes qui ont approché Louis.

On trouve également des témoignages d’internautes qui expliquent qu’ils ont rencontré des situations similaires dans le cadre d’offres de cours de langue (attention, on en voit passer plusieurs sur les groupes Facebook d’étrangers au Japon), de famille d’accueil et même dans certains clubs universitaires.

L’objectif, dans la majorité des cas, est de récupérer des informations personnelles ainsi que de l’argent.

Pourquoi les sectes ciblent-elles les étrangers ?

Souvent, les pvtistes ou les étrangers en général ont envie de rencontres « authentiques » et sont assez ouverts quand il s’agit de pouvoir discuter avec des Japonais, et ce, d’autant plus s’ils proposent de faire découvrir des éléments de la culture nippone.

Les étrangers sont souvent ceux qui ont envie de rencontrer du monde car ils doivent parfois faire face à la solitude, au mal du pays, à la barrière de la langue ou au manque d’argent. 

Que faire si on est approché par une secte au Japon ?

Voici ce que conseille Lucille, si vous vous retrouvez dans une situation similaire : 

  • Ne donnez pas d’informations personnelles (adresse, si vous vivez seul…).
  • Restez toujours au maximum dans des lieux publics lors de vos rencontres avec des inconnus. Cette règle vaut de manière générale. Prévenez vos proches du lieu, de l’heure et donnez les informations principales sur la personne que vous allez rencontrer (nom, description physique, contact Line si possible, etc.). 
  • Si vous avez un mauvais pressentiment, partez. Même en cas de doute, de peur d’être impoli, si vous êtes dans une situation inconfortable, il est préférable de s’en aller. 
  • Ne vous défendez pas physiquement ou verbalement (violemment) : au Japon, on a tendance à dire qu’en cas de conflit, les étrangers seront prioritairement mis en tort.
  • Si vous vous sentez en grand danger, appelez la police japonaise (110, numéro gratuit) et activez votre localisation. Même sans leur donner beaucoup d’informations, ils pourront vous retrouver.
  • Parlez-en à des personnes de confiance et prévenez vos proches. Rendez-vous dans un lieu où vous vous sentez en sécurité.

De manière générale, suivez votre instinct. N’ayez pas peur de dire non. Vous avez tout à fait le droit de quitter des situations qui vous mettent dans une position inconfortable, quelle que soit leur nature.

Même si les sectes constituent un danger au Japon, elles ne le sont pas plus que dans un autre pays. Gardez en tête que ce phénomène existe ici, mais ne vous empêchez pas de faire des rencontres si vous vous sentez à l’aise dans la relation et n’avez pas de mauvaise impression.

Merci à Lucille et Louis pour leurs précieux témoignages et conseils. 

Camille

Après un premier voyage au Japon, j'ai tenté l'aventure PVT en m'installant plusieurs mois à Tokyo ! Entre petits boulots dans la capitale et voyages dans tout le pays, cette année a été plus qu'enrichissante et je partage désormais ce que j'aurais aimé savoir avant mon départ. :)

After my first trip to Japan, I chose the visa PVT to settle in Tokyo for several months! Between odd jobs in the capital and travels all over the country, this year has been more than rewarding, and now I'm sharing what I wish I'd known before I left France. :)

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