Localisation
Séoul, Corée du Sud
Profession

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Salomé, 28 ans, poursuit son rêve dans la réalisation de films, dans son pays de cœur : la Corée du Sud. Elle est la première étrangère à avoir intégré la prestigieuse « Korean Academy of Film Arts » et a bien l’intention de réaliser ses rêves.

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Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Salomé, j’ai 28 ans (les Coréens me disent 30 alors je ne sais plus… aha), je suis née sur l’île de Saint-Martin (Antilles françaises). Après un Bac littéraire option cinéma à Paris, j’ai fait une licence d’Arts du spectacle cinématographique à Paris 8, avant d’intégrer la KAFA (Korean Academy of Film Arts) à Séoul en 2017. Je viens d’être diplômée et je vais commencer un stage en tant que scénariste (pour l’instant), tout en préparant d’autres réalisations de films. Je vis toujours à Séoul.
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Comment ton histoire d’amour avec la Corée a-t-elle débutée ?
Par le cinéma. Quand j’avais 16 ans, j’ai vu deux films coréens qui m’ont bouleversée à vie : « Memories of Murder » de Bong Joonho et « Locataires » de Kim Kiduk. Je ne connaissais absolument rien à la Corée, mais l’été de mes 18 ans je suis partie en voyage de 3 semaines à Séoul… et ça a été une révélation. À l’époque, je ne savais pas encore que mon parcours prendrait un tournant aussi décisif du côté de la Corée… c’est en y retournant chaque été, puis 1 an en PVT, que l’idée d’y développer mon projet de vie s’est concrétisée dans ma tête.
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Tu es partie en PVT en 2012. Comment as-tu vécu cette première longue expérience en Corée ?
Avant mon PVT, j’avais déjà fait 5 séjours, variant entre 1 et 3 mois. Mais c’est l’année passée en PVT qui m’a réellement fait adhérer pour de bon au pays. D’abord parce qu’avec des séjours courts je visitais et rencontrais de nouvelles personnes mais cela ne me suffisait pas : je voulais apprendre la langue pour de bon, avoir des projets créatifs avec les Coréens… et puis parce que déjà, inconsciemment je ne disais plus « aller en Corée » mais « rentrer en Corée ». Pendant mon PVT j’ai expérimenté plusieurs choses : d’abord des cours de coréen intensifs à Sungkyungkwan University (que je recommande déjà pour la beauté de ses anciens bâtiments traditionnels, son quartier de théâtres et de comédies musicales, mais aussi, car dans ces cours de langue il y a encore peu d’Européens et d’Américains comparé aux Chinois et Japonais, ce qui nous empêche de parler anglais). Ensuite j’ai été bénévole pour le Busan International Short Films Festival et le Busan International Films Festival, ce qui m’a immergée pour la première fois dans des groupes 100 % coréens… au début je balbutiais à peine quelques mots, mais à force d’écouter, de noter du vocabulaire sur mon petit carnet, et d’être obligée de communiquer uniquement dans cette langue, j’ai développé une certaine aisance à l’oral en coréen (aisance qui fait croire aux gens que je suis d’un meilleur niveau que je ne le suis grammaticalement parlant).
Puis vers la fin de mon PVT, j’ai travaillé comme serveuse dans un restaurant de luxe.
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Quelles sont les choses qui t’ont éventuellement déçue ou marquée ?
Quand on arrive avec le visa PVT dans un pays qu’on aime, on est tout « foufou », il nous pousse des ailes et on sent une grande montée d’adrénaline… qui fait parfois prendre des décisions un peu « expéditives ». Premièrement, le choix du logement :
Quand je suis venue en PVT en 2012 avec une amie, nous étions tellement impatientes de nous installer que nous avons signé un contrat pour une maison à Hongdae (le quartier où mes premiers séjours avaient commencé). Mais quelle maison ! Elle était vieille, très sombre – voire lugubre la nuit – et terriblement glaciale en hiver. En plus, les locataires précédents (Coréens) nous avaient laissé des tas de cafards écrasés partout avant leur départ… Il faut savoir qu’en Corée il n’y a pas trop le concept « d’état des lieux », donc il faut être vigilant à l’arrivée comme au départ. Donc leçon apprise : même si c’est dans le pays qu’on aime, il faut choisir son logement avec soin ! Ne pas se précipiter mais comparer les offres et les prix… et si comme moi vous arrivez au printemps, posez des questions aux proprios sur les conditions du chauffage de la maison en hiver ! Et prenez des photos de tout ce qui vous semble un peu détérioré / sali à votre arrivée et faites-le savoir au propriétaire. Aussi, il est important d’être accompagné d’une personne coréenne pour les termes techniques du contrat ou simplement pour servir de témoin. En Corée, j’ai parfois vu des propriétaires adorables au début qui se transforment en rapaces avides de grappiller votre caution… Alors prudence. Deuxièmement, le choix du travail :
Pour les mêmes raisons expliquées plus haut, j’ai dit oui à la première offre de petit job que j’avais vue sur le site coréen “알바 천국” (littéralement le « paradis du petit job »), ce qui m’a amenée à devenir serveuse dans un restaurant de luxe, habillée d’un semi-hanbok… C’était sympa au début, mais très vite j’ai senti le malaise – et le dédain – des autres employés qui ne comprenaient pas pourquoi une étrangère (caucasienne, surtout) ait besoin de faire un petit job… Et puis il faut avouer que le domaine de la restauration est un boulot déjà très fatiguant même dans son propre pays, alors à l’étranger c’est encore plus crevant. Je regrette un peu d’avoir achevé mon PVT sur ça, parce que les derniers mois sont passés trop vite et j’étais dans une routine qui ne me permettait pas de commencer à tourner des courts métrages comme je comptais le faire au départ. Donc là aussi, je voudrais conseiller à ceux et celles qui arrivent en PVT de commencer peut être à travailler plus tôt juste pour faire cette expérience-là, puis de prévoir des activités plus épanouissantes après. Moi j’avais fait l’inverse…
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Qu’est-ce qui t’a définitivement convaincue que ta place était là-bas ?
Dans mon for intérieur, je le savais déjà… mais j’avais besoin de vérifier concrètement, en vivant une année en Corée, comment je me débrouillais au quotidien. Ce n’est pas simple car il reste toujours les différences culturelles, la langue qu’on ne maîtrise jamais assez, la solitude loin de sa famille, parfois le doute « Mais qu’est-ce que je fais là ? » qui passe dans la tête dans les moments les plus difficiles… malgré tout cela, je sais que ce sentiment profondément chaleureux qui m’habite quand je suis ici signifie que je m’y sens épanouie, que je m’y sens chez moi. Et bien sûr, l’inspiration que la Corée me procure pour mes scénarios, mes personnages, mes images… C’est une inspiration de chaque jour, un apprentissage continu. Aussi, j’aime comment le fait de vivre ici me pousse dans mes retranchements, m’amène à me dépasser. C’est un challenge palpitant. IMG_4646_01 copy
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En 2017-2018, tu as intégré la « Korean Academy of Film Arts », mais tu n’en étais pas à ton premier essai… Peux-tu nous raconter comment tu es devenue la première étrangère à intégrer cette école ?
Après mon PVT, je suis repartie 2 ans en France sans revenir en Corée car je voulais préparer mon retour sur une longue durée, notamment économiser pour intégrer peut être une école de cinéma. Je rencontrais beaucoup d’étudiants coréens à Paris, et je tournais quelques courts métrages avec eux. C’est l’un d’eux qui m’a parlé pour la toute première fois de la Korean Academy of Film Arts (KAFA). Après avoir travaillé à plein temps à Paris pour économiser, j’ai donc décidé de tenter ma chance en 2016. J’ai préparé mon dossier et je l’ai envoyé. J’ai été acceptée à la première étape du concours, j’ai donc quitté mon travail et suis partie à Séoul pour la deuxième étape du concours, l’examen écrit… Contre toute attente, je l’ai réussi ! Mais ensuite il y a eu l’entretien… devant un jury de professionnels du cinéma, j’étais intimidée, je battais en retraite. Et donc je n’ai finalement pas été prise. Ça avait été un coup dur pour moi car le fait de réussir les premières étapes m’avait donné l’illusion que c’était gagné ! Mais cet « échec », s’il m’a d’abord déprimée, m’a motivée ensuite à me surpasser : je suis restée en Corée, j’ai repris des cours de coréen intensifs, j’ai utilisé une partie de l’argent que j’avais économisé pour produire mon premier court métrage coréen. Et c’est ainsi que j’ai tourné « CLIC », un thriller que j’ai envoyé comme portfolio à l’examen de la KAFA de l’année suivante. J’ai été acceptée de nouveau à la première étape, puis la deuxième… et cette fois, j’ai réussi l’entretien. Je pense qu’il avait fallu leur prouver aussi que je pouvais tourner en coréen, en Corée, avec une équipe coréenne, un casting coréen. Car jusqu’ici, l’école n’avait jamais intégré d’étranger, à part des étudiants coréens-américains ou des sino-coréens, ou peut être même quelques Japonais, il y a longtemps. L’entrée n’était pas interdite aux étrangers, c’était juste que la KAFA ne pensait pas que des étudiants venus d’Europe ou des US puissent vouloir l’intégrer. Et encore moins quelqu’un venu de France, le soit disant « pays du cinéma » ! Si d’autres personnes sont intéressées, je les encourage donc car la KAFA n’est pas du tout fermée aux étrangers. Il faut juste avoir à l’esprit que le concours est entièrement et uniquement en coréen (pas droit au dictionnaire), tout comme la formation. La KAFA prétend former « le cinéma coréen de demain » donc il vaut mieux avoir des projets de films en Corée. Et puis se préparer à la forte pression de la hiérarchie (au sein d’une équipe de tournage aussi), de la compétition et de la critique. Mais quelle aventure ! ^^
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Combien de temps dure le cursus et de quoi sont composés les cours ?
La KAFA est un institut à part, financé par le gouvernement et donc qui revient très peu cher à l’année pour les étudiants (2 000 000 won – 1 600 euros – l’année contre le double parfois au semestre pour les universités). Par contre, le nombre d’élèves est limité et le concours d’entrée est très sélectif. La sélection se fait sur 3 étapes, avec acceptation ou rejet à chaque étape :
  • Dossier et portfolio
  • Examen écrit (écriture de scénario et analyse de film)
  • Entretien avec le jury (composé de professeurs/professionnels et du directeur). Le début des inscriptions se fait fin août, l’annonce des résultats en décembre et la rentrée en février.
Il y a 4 sections au sein de la KAFA :
  • Réalisation
  • Production
  • Caméra et Animation
Les professeurs sont tous des professionnels. La formation est intensive, avec des cours théoriques, des conférences animées par des gens du métier, des analyses de film / synopsis / scénarios à écrire chaque semaine, et surtout la préparation et la réalisation des courts métrages. Mais la particularité de cette école, c’est… les critiques !
Chaque semaine, il faut subir des critiques si sévères que l’on peut regretter d’avoir intégré l’école… Mais on y passe tous, et ces critiques, si parfois elles démolissent, permettent aussi d’ouvrir son esprit tout en se renforçant. La KAFA est une école très connue dans le milieu du cinéma (le mondialement célèbre réalisateur Bong Joonho y a été étudiant). Pour notre festival de films de fin d’étude en février dernier (2018), j’étais étonnée de voir la grande salle du Megabox comble ! Le problème, c’est que si c’est un vrai plus d’avoir intégré cette école, elle ne délivre pas le même diplôme que les universités. C’est un plus à un niveau d’études déjà existant, ou à une activité professionnelle.
Pour information, en 2018, juste après la remise de diplômes de ma promo, l’école a déménagé à Busan. Ce qui force donc les futurs étudiants à s’installer là-bas pour suivre les cours…
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As-tu rencontré des difficultés durant cette année d’études ? Comment étais-tu perçue par les autres étudiants et les professeurs ?
Le système éducatif coréen étant déjà basé sur la compétition et la hiérarchie professeur-élève, au sein d’une école intensive comme la KAFA, c’est un challenge de tous les jours. Personnellement, ça a été une année très éprouvante, très rude, en termes de relationnel avec les autres étudiants également. J’ai noté une certaine jalousie aussi, car le fait d’être étranger fait qu’on nous remarque, et donne peut être l’impression d’être favorisé… alors que dans les faits, les professeurs me traitaient exactement comme les autres élèves. Ils me grondaient même encore plus sévèrement quand je ne comprenais pas certains mots ou quand je bredouillais… Par fierté, j’ai souvent réfréné mes larmes devant l’amphithéâtre rempli par mes camarades et les professeurs, mais ensuite j’allais pleurer chez moi.
Evidemment on se soutenait entre étudiants, mais il y avait une compétition tendue sous les sourires et les regards… Puis les différences culturelles, si elles amusent au premier abord, peuvent créer des malentendus qui se transforment en conflit quand on ne s’explique pas assez avec les Coréens. Il y a des moments pour exprimer ses pensées et des moments où c’est mal perçu, et ça pour un étranger (surtout nous les Français qui avons tendance à dire plutôt franchement ce qu’on pense) c’est compliqué quand on n’a pas trop l’habitude. Mais c’est justement par les problèmes, les conflits, les dualités, que j’ai vraiment appris sur cette société, sur cette culture, sur le cinéma ici également. Avant d’étudier à la KAFA, ma passion était un feu brûlant qui partait dans tous les sens, maintenant elle est devenue plus mesurée, je sais la dominer car j’ai compris que la passion pure effraie les Coréens, il vaut mieux la garder secrète et avoir l’air plus calme, plus maîtrisé. C’est un milieu hiérarchisé sans pitié où l’apparence détermine tout, aussi faut-il ne pas dévoiler tout de soi à son entourage professionnel.
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Que fais-tu actuellement ? Où en es-tu de ton projet professionnel ?
Pendant le festival de films de fin d’étude de ma promo, mon thriller-romance intitulé « Matriochka » a interpellé deux producteurs qui m’ont remis leur carte après la séance. L’un d’eux venait d’une petite boîte de prod, l’autre d’une très, très grande… Tellement grande que d’abord j’étais un peu étourdie et perplexe. Mais par la suite il m’a fait passer des entretiens, m’a testée avec un travail d’analyse et de réécriture de scénario… et finalement il m’a signé un vrai contrat de stage comme scénariste. Comme il sait que j’ai aussi des projets de réalisation à côté, il me permet de travailler de chez moi. Comme c’est le début, je ne peux pas donner trop de détails. Par ailleurs, je viens d’apprendre que mon film de fin d’études « Matriochka » a été sélectionné dans la catégorie Action/Thriller au Mise en Scène Film Festival de Séoul, grand festival de courts métrages de genre. Les dates du festival ne sont pas encore précises mais il aura lieu fin juin/début juillet 2018. COUPLEExtrait de MATRIOCHKA (2018)
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Cela fait plusieurs années que tu réalises des courts-métrages avec des équipes majoritairement coréennes. As-tu rencontré des difficultés du fait que tu sois étrangère et que tu sois une femme ?
Le cinéma est – et les actualités nous le prouvent – encore très macho, il suffit de le vivre même sans a priori pour s’en rendre compte. Alors en Corée c’est en effet profondément plus ancré. Déjà, les places traditionnelles des femmes dans une équipe sont soit comme assistantes, soit comme scriptes, soit comme décoratrices ou maquilleuses… ou tout simplement les actrices. Car oui, quand une femme dit qu’elle « fait des films », on pense à ces catégories-là d’abord. Et on sent bien l’espèce de tendresse un peu dédaigneuse, quand on parle de ses projets en tant que réalisatrice. Surtout si on a l’air jeune, alors là c’est le combo : certains professionnels masculins plus âgés qui se permettent de vous tapoter la tête en vous expliquant que « le cinéma ce n’est pas facile » (merci pour cet éclaircissement philosophique, monsieur), certains collègues vous suggérant que pour une femme réalisatrice il faut choisir entre sa carrière et une vie de couple/vie de famille (moi je veux tout et je l’aurai, mon ami), votre petit ami qui vous reproche d’être entourée de trop d’hommes (c’est pas ma faute si c’est eux qu’on embauche, chéri)… et j’en passe. De manière générale, on est moins écoutée qu’un homme, alors dans un débat / dans un brainstorming de groupe sur un films / sur un plateau de tournage, il faut redoubler (tripler même) de toutes sortes de « trucs » pour qu’on n’oublie pas que ce film c’est vous qui en êtes l’origine, le pilier… et la responsable, au final ! Récemment, en voyant que les femmes commencent à s’exprimer bien plus dans la société coréenne, je reprends espoir. Je rêve à une société coréenne où les réalisatrices ne sont plus seulement présentes dans le cinéma indépendant, mais dans les films à grand spectacle, les films de genre, les films tous publics, et que ces films-là puissent enfin accueillir des héroïnes au centre de l’action, des héroïnes sujet du désir et non objet. Le fait d’être étrangère est à double tranchant : on se souvient de vous, mais on ne sais pas trop de quoi vous êtes capable. Aussi il faut faire ses preuves et s’entourer des bonnes personnes. Personnellement, après avoir été blessée par pas mal de relations toxiques avec certains staff au cours de mes différents tournages, j’ai commencé à ne plus accorder ma confiance trop vite, et à choisir finalement les personnes avec lesquelles la communication est bienveillante et honnête. Avec ces personnes-là, quand quelque chose ne va pas on s’explique, on s’excuse mutuellement, et on trouve ensemble une solution. Être étranger fait que les Coréens ont peur de s’approcher trop près, donc ils peuvent facilement dire que tout va bien pour fuir le conflit. Surtout de réalisatrice à staff masculin… En Corée, on dirait que le problème originel est cette dualité entre fille douce et féminine = faible et dépendante, contre fille qui prend des décisions et qui agit = fait peur. Ce n’est pas évident de trouver un équilibre pour se faire à la fois respecter sans inspirer la crainte. J’en ai beaucoup discuté avec des réalisatrices coréennes, et nous avons vécu ce même sentiment. unnamed-1Sur le tournage de “The Coldest Day” (2017)
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C’est assez impressionnant de s’imaginer que tu réalises des courts-métrages en langue locale et que tu diriges une équipe de professionnels tout en coréen. Il faut avoir un sacré cran ! Comment as-tu appris la langue ?
Il y a quelques années, ma mère disait que j’étais folle ! Je me souviens qu’elle ne comprenait pas ce que je pouvais bien avoir à faire dans un pays si lointain, surtout pour le cinéma « alors que la France… ». Mais un jour, elle m’a entendue parler coréen à des amis, elle s’est tournée vers moi d’un air hébété et m’a dit « Ah ouais, quand même tu le parles, quoi ». Le coréen, j’ai rechigné à l’apprendre au début. À l’époque, je commençais à peine à me débrouiller en anglais, alors… J’étais venue en Corée pour la première fois en 2007, et malgré deux autres voyages, ce n’est qu’en 2009 que je me suis décidée. Il faut dire que j’y avais aussi été poussée par mon ex copain coréen de l’époque, avec qui il fallait entretenir une relation longue-distance. J’ai donc commencé par apprendre toute seule le hangeul (alphabet coréen), puis des phrases toutes faites que je répétais sans arrêt… Ensuite, je me suis inscrite au Centre Culturel coréen de Paris, où je suivais 2 h de cours par semaine. Puis, c’est en PVT en 2012, quand je me suis plongée dans des cours intensifs et immergée dans des activités avec des Coréens, que ma langue s’est déliée. De retour en France aussi, je continuais de pratiquer avec des amis coréens sur place. Il y a 3 ans, j’ai obtenu le niveau 3 au TOPIK et depuis j’ai passé le niveau 4 à l’université. Le niveau oral et le niveau grammatical peuvent être différents. Je connais des personnes du niveau TOPIK 6 qui parlent encore avec un accent étranger à couper au couteau…
Mais moi, il me manque beaucoup de vocabulaire en dehors de mes domaines de prédilection (cinéma, art, culture). Je serais incapable de parler de politique en coréen… Donc cette année, j’envisage de booster mes acquis, d’élargir ma grammaire et mon vocabulaire. Ce qui m’a le plus aidée dans l’apprentissage de cette langue, ce sont mes petits carnets que j’emportais partout et où je notais tous les mots nouveaux, les expressions fun que j’entendais autour de moi, et je les répétais seule pour les réutiliser ensuite. Ce qui fait que je me souviens dans quel contexte j’ai appris certains mots, ça fait partie de mon petit historique mental.
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Quelles sont tes inspirations et l’univers que tu exploites à travers tes courts métrages ?
Ayant reçu un coup de poing créatif à l’âge de 16 ans en visualisant des films de Bong Joonho et de Kim Kiduk, c’est un peu entre les deux que j’aime situer mes univers.
J’aime beaucoup le thriller, surtout le thriller social, qui n’est pas manichéen et qui montre à quel point la société peut être sombre et corrompue. J’aime les antihéros un peu rejetés par cette société mais qui finalement portent en eux quelque chose de plus « pur ». J’aime les films de gangsters pour les joutes verbales, les sourires tendus et les regards aiguisés, j’aime les artistes maudits et les filles perdues. CLIC2Extrait de CLIC (2016)
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Grâce à tes études et aux festivals de cinéma dans lesquels tu as été bénévole, tu as rencontré les plus grands. Peux-tu nous parler d’une rencontre qui t’a marquée ? D’un conseil qu’un professionnel t’aurait donné et qui t’aide aujourd’hui ?
J’ai eu plusieurs fois l’occasion de croiser des réalisateurs et acteurs connus, mais on ne peut pas dire que j’ai vraiment échangé avec eux. Le seul avec lequel j’ai pu avoir des conversations était Kim Kiduk. Plutôt qu’un conseil particulier venant des professionnels, c’est leur absence de conseil, en fait, qui m’a le plus marquée. Le cinéma est un milieu particulièrement difficile, dans lequel ceux qui réussissent ont pu en avoir tellement bavé qu’ils ne savent pas très bien eux-mêmes quoi dire aux nouveaux venus… Tous les parcours sont si différents qu’il ne semble pas y avoir une seule règle. Ce qui m’a personnellement motivée, et me motive toujours, en fait, c’est le dédain, le rejet, la difficulté. En mode « Ah ouais ? On va voir ce qu’on va voir ! ». C’est un milieu de rêve et d’illusion, et aussi de désillusions : voir qu’un professionnel qu’on estimait et qu’on respectait a, tout en faisant des films magnifiques, un comportement inacceptable envers les femmes ou envers ceux qui sont plus bas que lui… Donc plutôt que de suivre telle parole de telle personnalité, je préfère retenir les paroles des personnages de leurs films. Ou bien m’en tenir aux actions !
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Plus récemment, tu t’es découvert une passion pour la photographie qui semble complémentaire à ton art. Que cela t’apporte t-il ?
Oui, car après avoir obtenu mon diplôme à la KAFA, j’avais besoin de souffler un peu suite à cette année intensive. Me reposer et réfléchir, faire des activités éloignées du cinéma, mais créatives quand même. Voilà longtemps que je caressais l’idée d’apprendre la photographie, et l’occasion s’est présentée il y a deux mois quand un ami acteur débutant m’a demandé de lui faire quelques clichés pour son portfolio. J’ai emprunté un bon appareil, deux objectifs… et j’ai adoré faire ça ! J’ai été particulièrement exaspérée tout au cours de cette année à la KAFA en voyant circuler des profils d’acteurs et d’actrices qui sont passés par la chirurgie (à force d’en voir, on finit par remarquer la même forme de nez, les mêmes yeux écarquillés, le même menton en pointe… c’est déprimant). Ça m’énerve aussi quand ils/elles se font enlever leurs grains de beauté, alors que pour moi ça ajoute un charme fou. Donc j’ai décidé de commencer une série de portraits de Coréens et de Coréennes qui ne rentrent pas forcément dans ces critères de « beauté » au goût de plastique. J’exprime cette exaspération par la photo. J’aimerais que les Coréens se libèrent des images dont on les assomme avec les dramas/les publicités/les TV show… et qu’ils assument mieux leurs beautés individuelles et uniques. portrait photoPortrait d’acteur : Yeongtaek Kim (김영택)
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Quelles sont tes ambitions à long terme ? Ton objectif ultime ?
Tourner un long-métrage à « grand spectacle » !
Et plus simplement, vivre de ce que je fais… mais on en est encore loin.
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Pour finir, as-tu un conseil à donner aux personnes ayant un grand rêve comme le tien et qui peut paraître inaccessible pour beaucoup ?
Il faut se donner les moyens de concrétiser ce que l’on souhaite, et il ne faut jamais abandonner. Plus notre rêve est grand et plus il semble faire de l’ombre à d’autres, on ne pourra donc pas éviter ni les jalousies, ni les mauvais conseils. Si la famille s’inquiète, il faut parvenir à leur faire comprendre qu’on est sur la bonne voie, celle qui nous épanouit. C’est beaucoup de solitude parfois, beaucoup de doutes, mais les efforts sont toujours récompensés de quelque manière. Il faut faire son petit bout de chemin, à son rythme, humblement, tranquillement, toujours repousser ses limites un peu plus loin et se dépasser. J’entends parfois cette phrase assez agaçante « Oh tu as de la chance de […] ». C’est vrai que la chance peut aider à faire telle ou telle rencontre, à avoir tel ou tel avantage, mais la chance ne suffit pas seulement, il y a tout le travail, les efforts derrière, les douleurs et les larmes… Après, si la chance décide de s’en mêler, c’est très chouette bien sûr. Mais n’attendez pas d’avoir « de la chance » pour vous lancer. Lancez-vous, c’est tout ! Quelques-uns de mes courts métrages réalisés en Corée : CLIC (2016)
(tourné avec mes propres moyens avant la KAFA)
Raconte l’histoire d’une jeune fille qui arnaque d’autres filles pour le compte d’un photographe obsédé…
(sous-titres anglais) THE COLDEST DAY (2017)
(tourné avec mes propres moyens avant la KAFA)
Met en scène deux garçons qui s’aiment et qui se retrouvent sur un petit îlot du fleuve Han.
(sous-titres anglais) MATRIOCHKA (2018)
(tourné à la KAFA)
Une jeune femme russe travaillant en Corée comme hôtesse dans un karaoké contrôlé par la mafia décide de s’enfuir ; poursuivie, elle est aidée et abritée par un homme de la campagne qui la traite avec gentillesse et respect… mais cet homme cache quelque chose d’étrange… Le film étant envoyé à des festivals, il n’est pas disponible sur YoutTube, mais vous pouvez voir la bande-annonce ici :

Merci pour ce superbe partage d’expérience ! pvtistes.net et moi-même te souhaitons plein de succès dans tes projets !

Nunaya

Youtubeuse depuis 2014 et rédactrice web "Asie" depuis 2016. Passionnée par l'Asie depuis de nombreuses années, je suis partie en PVT à Tokyo et à Séoul où je suis finalement restée 3 ans et demi.
Je partage mes expériences et mes passions sur ma chaîne Youtube NUNAYA WORLD.

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(4) Commentaires

Anonyme I |

Coucou Salomé,
Je suis impressionnée par la détermination évidente que tu as eu à poursuivre ton rêve. Je suis très heureuse que tu y arrives et que tu te battes tous les jours pour cela.

Le choix du pays ne me choque pas plus que ça, c’est vrai qu’on n’a pas tellement tendance à regarder des films réalisés en Asie car le cinéma américain et canadien ont pris le pas sur les autres, mais quand on se donne la peine, il y a aussi de très belles oeuvres ! Je comprends aussi la réaction de ton école face aux étrangers, les gens auront plus tendance à vouloir intégrer tel école américaine ou française ou anglaise aussi pour faire ce genre de métier lié au cinéma. Et dans l’esprit populaire, les gens pensent que si on veut immigrer dans un pays asiatique, c’est soit qu’on a lu trop de mangas, soit qu’on est un hippie qui veut aller faire « peace and love » en Inde… ^^ »

Quant à ton combat pour faire accepter les femmes là où tout le monde pense qu’elles ne devront pas être, je suis de tout coeur avec toi, il faut laisser les femmes faire ce qu’elles ont envie de faire et arrêter de croire que parce que nous sommes des femmes, nous ne nous exprimons qu’avec des coeur et nous n’aspirons qu’à une vie de famille. Je lutte beaucoup au quotidien pour faire comprendre à tous ceux qui me posent la question : non je n’ai pas envie d’avoir d’enfants, une maison, un mari, un chien, oui, j’ai des objectifs professionnels dingue et je fais tout pour les réaliser, mais apparemment, une femme qui ne veut pas d’enfants et souhaite faire une carrière (qui est aussi son rêve) est trop étrange ! Alors courage à toi !

Pour l’apprentissage du coréen, ahlala, ce qu’on ne ferais pas pour un petit ami 😉 Je comprends la réaction de ta maman et je vais te dire que la mienne a eu la même réaction quand je lui ai dis que j’aimerais apprendre le japonais, ce que était un peu faux car je l’apprenais déjà seule et qu’elle m’a juste dit « mais quel intérêt ? Apprends plutôt l’anglais, ça te serviras au moins »…. Oui mais si moi j’ai envie d’apprendre le japonais et de voyager au Japon ? ^^ » Au final, j’ai fais comme toi et j’ai parlé en anglais puis en japonais devant elle et elle est restée bouche bée haha !

Pour finir cette longue review, j’adore le message que tu fais passer à la fin, car oui, ce n’est pas de la chance mais bien de la sueurs, des doutes, de la peur, du découragement aussi, de la persévérance, du travail, du culot, bref, tout un tas d’émotions et de rebondissements, affronter beaucoup d’obstacles à commencer la famille, les amis, l’administration, les douaniers, les locaux … et même les étrangers qui viennent donner leur avis !

Sur ce, bonne continuation à toi et peut-être à un prochain témoignage dans quelques années, je serais ravie de te relire 🙂
Emeline

Cynthia I |

Salut Salomé! Franchement canon le parcours!! Je pense que tu as simplement eu des « cojones » et pour moi ça n’a rien à voir avec de la chance. Tu as suivi tes rêves et tu t’es donnée les moyens d’arriver là où tu es aujourd’hui donc bravo!! Je te souhaite beaucoup de succès

Annelise I |

Wahou, merci d’avoir pris le temps de nous raconter tout ça ! Et bravo ! 🙂

Julie I |

Quel beau parcours !!! Bravo à toi 🙂