Béatrice est une jeune et dynamique belge qui a soif de découvertes et d’aventures. Grande randonneuse et amoureuse de la nature, elle a décidé de mettre à profit son PVT Canada pour visiter au maximum, et faire les randonnées qui permettent d’admirer des paysages immenses et variés qu’offre le pays.
Comme en plus d’être sportive, elle est sympa et partageuse, elle a décidé de nous raconter ses aventures et de nous faire part de son expérience.
Nous vous proposons de la suivre, pas à pas, sur les différents sentiers qui la mènent à travers le Canada.
Récit précédent : Le grizzli lake trail
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Le Canada m’est toujours apparu comme le terrain de jeu idéal des aventuriers. J’étais attirée par son caractère grandiose, sa nature préservée et son aspect sauvage. Si je souhaitais visiter ces terres lointaines, c’était avant tout pour leur immensité et leur variété, autrement dit leur infinité de possibles. Je m’imaginais déjà partir pour de longues randonnées en autonomie, arpenter des sentiers interminables, gravir des sommets colossaux, camper dans des lieux totalement isolés, face à des paysages époustouflants.
Le PVT me donnait l’occasion de concrétiser ce rêve, mais la réalité allait-elle être à la hauteur de mes espérances ?
Je peux d’emblée vous répondre par l’affirmative et vous assurer que je n’ai pas été déçue ! Le Canada est réellement le terrain de jeu idéal des aventuriers.
Ceci est donc un condensé de mes excursions et expéditions canadiennes.
Pour chaque récit de randonnée, j’ai mis en place une petite carte d’identité avec les éléments importants dont voici le lexique :
- Quoi ? Quel sentier.
- Quand ? Quand je l’ai parcouru.
- Où ? La ville la plus proche, choisie comme point de départ et éventuel camp de base.
- Niveau ? Le niveau de difficulté du sentier (donné à titre indicatif selon ma propre expérience).
- Parcours ? Le type de randonnée (boucle ou tracé linéaire, avec un seul ou plusieurs points d’entrée/de sortie).
- Distance ? La distance totale du sentier.
- Durée ? La durée conseillée pour effectuer la totalité de la randonnée (donnée à titre indicatif, tout dépend évidemment de votre niveau et de votre envie).
- Inscription et frais ? La nécessité (ou non) de s’inscrire et/ou d’obtenir un permis, ainsi que les tarifs d’accès.
- Comment vous y rendre ? Les moyens (hors véhicule personnel) de rejoindre le départ de la randonnée et/ou de quitter le sentier à la fin de votre périple (liste non exhaustive donnée à titre indicatif).
- Les + : les petits plus du voyage qui m’ont particulièrement plu.
- Les – : les petits moins qui ont pu m’embêter en cours de route.
- Mes conseils : les petites choses auxquelles il faut penser avant de se lancer et/ou quelques recommandations personnelles.
- Quand ? 6-10 août 2017.
- Où ? Skagway, AK.
- Niveau ? Difficile, compte tenu de l’ascension du Col Chilkoot. Les journées de marche qui précèdent et suivent le passage de col sont de niveau intermédiaire.
- Parcours ? Circuit linéaire avec deux points d’entrée (un à chaque extrémité du sentier) : Dyea (AK) au sud, et Bennett (BC) au nord. La randonnée est possible dans les deux sens, mais il est fortement recommandé de la parcourir du sud au nord, comme l’ont fait des milliers de prospecteurs lors de la Ruée vers l’or du Klondike à la fin du XIXe siècle.
- Distance ? 53 km.
- Durée ? 3 à 5 jours.
- Inscription et frais ? Permis obligatoire ! Le nombre de randonneurs autorisés à parcourir le sentier chaque jour est limité afin de préserver le lieu. Il y a un quota de 50 passages du col Chilkoot par jour, ce qui est assez peu comparativement à la demande.
42 permis sont délivrés sur réservations (celles-ci sont généralement prises d’assaut dès le début de la saison) et 8 sont gardés pour les « walk in » (autrement dit, les randonneurs se présentant en personne au Trail Center pour un départ immédiat le jour-même ou le lendemain). Lors de l’inscription, vous devez présenter un passeport valide afin de vous enregistrer pour le passage de la frontière. Vous devez également faire part des emplacements où vous souhaitez camper durant la randonnée. L’ensemble des frais pour le permis s’élève environ à 60 $.
Toutes les infos sont disponibles sur le site Parks Canada. - Comment vous y rendre ? Pour vous rendre à Dyea depuis Skagway, vous pouvez faire appel à Ann (Dyea – Chilkoot Trail Transport). Elle viendra vous chercher en SUV devant le Trail Center et vous conduira au départ du sentier pour une vingtaine de dollars US. Vous trouverez ses coordonnées au Trail Center ou sur cette page Facebook.
A la fin de la randonnée, vous pourrez quitter Bennett en train (White Pass Yukon Route), soit en direction de Carcross (65 USD environ), soit en direction de Skagway (95 USD environ) (un arrêt à Fraser est également possible, ainsi qu’un retour vers Whitehorse via un transfert en bus, toutes les infos sur le site internet. Ce trajet en train est une aventure en soi et s’avère être parfait pour clôturer son périple en beauté !
NB : Il est également possible de quitter Bennett en hydravion, ce qui doit sans doute être assez magique mais relativement cher. - Les + : Le sentiment de parcourir un sentier historique et de suivre les traces des prospecteurs d’or d’il y a deux siècles.
L’adrénaline que procure l’ascension du col et la satisfaction ressentie au sommet avec, en bonus, une vue à couper le souffle. Les liens qui se créent rapidement avec les autres randonneurs que l’on croise chaque soir au campement. - Les – : Un prix plus élevé et un nombre de randonneurs qui peut sembler plus important que sur des sentiers moins populaires (surtout visible le soir, aux campements). La difficulté d’obtenir le permis à l’avance – aux dates désirées, via les réservations en ligne, surtout pour les groupes.
Mes conseils :
- Passez la dernière nuit à Bare Loon, de loin le plus bel emplacement de camping du sentier.
- N’oubliez pas que vous changez de fuseau horaire lorsque vous passez la frontière US-CA (AK UTC-8 / BC et YT UTC-7). Sachez cependant que les horaires de train WPYR sont toujours donnés en AK time (même pour Bennett).
C’est un peu à contrecœur que je quitte le superbe parc territorial de Tombstone. J’aurais vraiment souhaité en explorer davantage, poursuivre la randonnée jusqu’aux lacs Divide et Talus. Mais si je décide de rentrer, c’est parce qu’une nouvelle aventure m’attend déjà ! Je vais continuer à découvrir le Yukon à pied et enfin concrétiser un projet qui me trotte dans la tête depuis longtemps : je m’en vais parcourir la fameuse Piste Chilkoot !
Je commets ici volontairement une erreur commune : bien que le Chilkoot Trail soit associé au Yukon, pas un seul centimètre carré ne s’y trouve en réalité !
Le sentier prend son départ en Alaska et nous mène, en franchissant la frontière américano-canadienne, en Colombie-Britannique.
Son histoire est cependant étroitement liée à la ruée vers l’or du Klondike, au cœur du Yukon, et c’est pourquoi on accepte volontiers de revoir un peu sa géographie lorsque l’on parle de cette randonnée mythique.
Car la cinquantaine de kilomètres séparant Dyea de Bennett n’était que la première étape d’un périple bien plus long qui allait permettre à des milliers d’hommes et de femmes de rejoindre Dawson City et de faire fortune en trouvant de l’or, en tout cas l’espéraient-ils !
Quoi qu’il en soit, Yukon ou pas, je m’en vais sur les traces de cet épisode mythique de l’histoire nord-américaine.
Mon passage à la maison n’est que de courte durée : 24 heures à peine, le temps de faire tourner une machine de linge et de préparer le ravitaillement. De la logistique en somme. L’occasion aussi de passer la nuit dans un vrai lit. Quand bien même je ne prends pas vraiment le temps de me reposer, c’est agréable de pouvoir dormir dans des draps et surtout de pouvoir s’étaler de tout son long en faisant l’étoile de mer !
Je prends donc la voiture le samedi matin, direction Skagway, en Alaska. Deux heures de balade scénique sur l’une des plus belles routes du Yukon, voire du monde, j’ai nommé la Klondike Highway South.
J’ai de la chance pour le temps, le soleil est au rendez-vous et le ciel s’est paré de son beau manteau bleu azur.
Bien que j’aie déjà parcouru ce chemin de nombreuses fois, je ne me lasse pas des paysages. Je ne suis pas pressée et n’hésite pas non plus à m’arrêter aux différents points de vue le long de la route, notamment à l’approche de Carcross, pour photographier à nouveau les fameux « Emerald Lake » et « Carcross Desert », ou encore après Fraser et le passage de la frontière canadienne, pour me balader dans ce « no man’s land » aux allures lunaires.
Le selfie devant le panneau « Welcome to Alaska » est aussi un passage obligé et je m’y soumets avec plaisir.
Dès mon arrivée à Skagway, je me rends au Trail Center, géré conjointement par les Rangers américains et les gardiens de Parcs Canada. N’ayant pu réserver mon permis à l’avance, il me faut en obtenir un avant de pouvoir débuter la randonnée le lendemain matin.
Le succès de la Piste Chilkoot, associé au souci de sa protection et de sa préservation – qui induit donc un nombre limité de randonneurs par jour, fait qu’il est difficile d’obtenir le Saint Graal pour le parcourir.
En général, dès l’ouverture des réservations, le sentier affiche complet pour l’été. Heureusement, il reste toujours quelques places qui sont uniquement délivrées le jour même aux randonneurs se présentant en personne pour un départ immédiat. Lorsque l’on randonne seul, il est donc assez aisé de recevoir un laisser-passer en dernière minute.
Cela se confirme pour moi, l’inscription est réglée en quelques minutes : enregistrement de mon passeport pour le passage de la frontière, sélection des campements, paiement des droits d’entrée et séance d’orientation obligatoire, me voilà parée pour le départ !
Dimanche 6 août, j’attaque donc ma première journée sur le sentier. Pas de difficulté majeure, si ce n’est la première côte, un peu abrupte, qui commence dès les premiers mètres et me met bien en jambe – et hors d’haleine – pour la suite.
Peu de dénivelé pour cette première étape ; le terrain est parfois vallonné mais rien d’insurmontable. Le parcours se fait principalement en forêt, sans beaucoup de visibilité et donc de points de vue, en longeant la rivière Taiya.
Vers 13 heures, me voilà déjà arrivée à mon campement à Canyon City. Je serais prête à continuer, mais je ne pense pas que je puisse me permettre cette liberté sur mon programme. En effet, lors de l’enregistrement et de l’obtention du permis, chaque randonneur est prié de préciser son choix de campement pour chacune des nuits de son périple. J’imagine donc qu’il faut se tenir à cet engagement, puisque le nombre d’emplacements est limité et que les places sont donc comptées.
De toute façon, je me dis que ce n’est peut-être pas plus mal de commencer en douceur et d’économiser mes forces pour le troisième jour et l’ascension du col qui s’annonce comme un job sérieux !
Peu à peu, au fil de l’après-midi, Canyon City se remplit. Je fais la connaissance de mes compagnons de voyage que je croiserai à de multiples reprises lors des prochains jours. A cet instant précis, je ne sais rien d’eux. Ce ne sont que des inconnus qui ont décidé d’entreprendre la même aventure que moi. Mais déjà je sais que ce mystère se dissipera rapidement et que bientôt un lien particulier nous unira.
Le lendemain matin, me voilà repartie sur la route. Quelques heures à peine me suffisent pour rejoindre Sheep Camp. Je réalise que j’aurais pu aisément combiner mes deux premières étapes et boucler le Chilkoot Trail en quatre, voire trois jours. Autant, lors de ma randonnée sur la Juan de Fuca Trail, j’avais prévu trois journées de marche et en aurais préféré cinq, autant cette fois-ci, je me dis que je me suis sous-estimée et que j’ai vu bien large.
Qu’à cela ne tienne, je profite des temps libres comme je peux : j’observe, j’écris, je discute.
Tous les soirs on retrouve les mêmes personnes aux campements. Sans marcher ensemble, on parcourt cependant les mêmes étapes, et on finit par créer des liens rapidement.
Cette ambiance me rappelle le Camino (i.e. le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle) et n’est pas pour me déplaire. Parmi ces personnes, un groupe en provenance d’Anchorage, composée d’une dizaine de vétérans et dont la doyenne, âgée de 74 ans, m’impressionne par sa motivation et sa détermination. On échange beaucoup, on partage nos expériences. Son histoire est fascinante et je me prends à rêver de toujours avoir cette même énergie quand j’aurai son âge.
Déjà, il est temps de rejoindre ma tente car la journée du lendemain s’annonce longue et fatigante. Les rangers nous ont conseillés de partir au plus tard à 6 heures du matin pour atteindre le col avant midi.
Les dangers d’avalanche sont en effet plus élevés à la mi-journée, lorsque la température augmente et que la neige se met à fondre. Bien qu’il ne reste que quelques névés au sommet, il est préférable de ne prendre aucun risque.
Au matin du troisième jour, lorsque je me lève, le camp est déjà vidé de moitié. Mes amis alaskiens, entre autres, sont partis avant l’aube, vers 4 heures. Tous les membres de leur groupe n’avancent pas au même rythme, leur vitesse de croisière est donc plus lente, et ils veulent s’assurer d’atteindre le sommet avant la fin de la matinée.
Avant d’affronter l’ascension du col proprement dite, il faut grimper Long Hill qui, comme son nom l’indique, est longue, très longue. Elle me paraît même interminable cette colline !
Heureusement, la pente est graduelle et je garde un bon rythme. De temps à autre, il faut enjamber de grosses pierres qui forment des escaliers naturels. C’est fatigant, mais pas insurmontable : on est encore loin de l’effort d’alpiniste…
Après une bonne heure et demi de marche, j’atteins les fameuses « Scales » (autrement dit, la station des pesées), dernier point de passage avant de grimper à l’assaut du Chilkoot Pass.
Pendant le Ruée vers l’or du Klondike, la Police Montée y avait établi un poste de garde. Son but était de maintenir l’ordre, de percevoir un droit de passage et surtout de s’assurer que chaque personne franchissant la frontière avait suffisamment de provisions pour un an. Les chercheurs d’or étaient en effet tenu d’emporter avec eux une tonne de biens, dont au moins la moitié en nourriture, pour assurer leur survie et devaient dès lors se soumettre à la pesée de leur stock – d’où l’appellation de ce lieu-dit.
En arrivant à cet endroit, je réalise soudain que j’emprunte un sentier historique, une piste centenaire, parcourue avant moi par des milliers de jeunes gens en quête d’aventure et de richesse. Autour de moi, de vieux objets, usés par les vents et le temps, témoins d’une époque révolue où un flux continu de personnes traversait, de jour comme de nuit, ces monts escarpés.
Me voilà prête à gravir le col dont tout le monde parle. C’est un véritable champ de pierres vertical qui se dresse face à moi. Des rochers s’entreposent pour former un gigantesque mur d’escalade aux prises grand format. La montée s’annonce sportive !
J’entame cette grimpette avec excitation et je m’éclate. Il ne s’agit plus de simple randonnée : il faut y aller avec les mains, trouver des accroches, et c’est tout le corps qui est sollicité.
J’expérimente une nouvelle discipline à laquelle je ne m’étais pas encore essayée. Agile telle un cabri, je saute de roche en roche pour franchir cet obstacle.
A plusieurs reprises, je m’élance sur une pierre instable et risque la chute, mais je parviens toujours à retrouver l’équilibre pour évite le pire.
Dans les moments les plus tendus, quand je ne parviens pas à oublier le poids de mon sac-à-dos, quand ma main lâche prise à cause d’une crampe, ou que mon pied ne trouve pas d’appui solide, je pense aux gens d’antan, obligés de recommencer cette ascension une vingtaine de fois, à raison de plus de 50 kg par passage, et je réalise ce que cette entreprise était pour eux : non pas un choix de loisir ou un challenge personnel, mais une nécessité, une ultime chance de faire fortune, la promesse d’une vie meilleure, quitte à y trouver la mort.
Le brouillard est tombé, il a envahi le col en quelques minutes, et me voilà privée de perspective. Je n’ai aucune idée de la distance qu’il me reste à parcourir. Je me laisse guider par les piquets oranges et leurs petits drapeaux qui virevoltent au gré du vent. Comme dans un jeu de piste, je ne les perçois qu’à la dernière minute, l’un après l’autre, sans indice me permettant d’entrevoir la fin du parcours.
Un large sourire fend mon visage, résultant sans doute des endorphines et de l’adrénaline produites en quantité par mon corps.
Bientôt, je rejoins un premier faux-sommet. J’y retrouve une partie du groupe d’Anchorage. On récupère un peu ensemble en mangeant une barre de céréales, mais je me remets rapidement en route pour éviter de prendre froid. La neige est encore quelque peu présente à cette altitude, et surtout le vent et la brume rafraîchissent l’air. La visibilité ne s’est pas améliorée, on n’y voit toujours pas plus loin que le bout de son nez, mais le terrain retrouve une certaine praticabilité. Même si ça continue de grimper, la pente est moins raide et le sol plus stable. Le plus dur est derrière moi.
Vers 9 heures, je franchis la frontière. Puis, enfin, presque sans y prêter attention, j’atteins le col Chilkoot. Situé à 1 067 mètres d’altitude, c’est le point culminant de la randonnée. Je poursuis mon chemin, et quelques minutes plus tard, j’aperçois la cabane de Parcs Canada, ainsi qu’un abri pour les randonneurs, caché juste derrière.
Peu à peu, je suis rejointe par mes amis alaskiens. Après l’effort, le réconfort ! On s’installe à l’intérieur de la petite bâtisse en bois et on improvise une bonne collation partagée : thé, fruits secs, chocolat, barres de céréales. Chacun apporte sa pierre à l’édifice de ce pique-nique collectif. Un moment simple, empli d’allégresse et bien mérité, comme je les aime.
Soudain, mon regard est attiré par la fenêtre : je jette furtivement un regard à l’extérieur pour constater que le brouillard s’est levé, faisant place au ciel bleu et nous permettant d’admirer une vue spectaculaire. Quel bonheur !
Face à tant de beauté, je suis submergée d’émotion. Je retranscris ici un extrait issu d’un témoignage de l’époque, trouvé sur un panneau explicatif accroché à l’intérieur du petit chalet, et qui exprime bien – à quelques détails près – mon sentiment à cet instant précis : « Derrière nous, la civilisation… devant nous, l’immensité, le silence, la grandeur… Pour mieux saisir à quel point vous êtes petit et insignifiant, tenez-vous debout seul au sommet… et vous comprendrez que vous n’êtes qu’un atome dans ce vaste univers. Que de solitude et de tristesse l’on ressent face à cette immensité et à ce degré de sublimité!… Mais il y a peu de temps pour dormir, et encore moins pour rêver. » (Printemps 1897)
Je n’ai pas la même angoisse du temps, et je peux me permettre de rêver… Néanmoins, il est vrai que la journée est loin d’être terminée et que je ne suis qu’à la moitié de mon étape du jour. Après cette longue et agréable pause, je reprends donc la route, le cœur gai et l’âme apaisée.
C’est de loin le plus beau tronçon du sentier que je parcours à présent. Le beau temps a repris ses quartiers et l’environnement est simplement grandiose. Je gambade joyeusement entre les lacs turquoises, les prés verdoyants, les névés encore blancs et les fleurs qui embaument l’atmosphère. A l’arrière-plan, les montagnes se dressent fièrement telles un rempart protecteur. Le sentier serpente légèrement en direction de la vallée, entrecoupé de petits ruisseaux formés par la neige qui fond plus haut, au sommet des glaciers. Les cascades sont nombreuses, coulant le long des parois rocheuses, me permettant de faire le plein d’eau fraîche. Je ne me lasse pas de ces paysages et ma marche est sans cesse interrompue par l’envie de fixer cette beauté par quelques clichés. La mémoire de mon appareil photo est divisée par deux en quelques minutes tant je ne peux m’empêcher de mitrailler ce cadre idyllique… J’aimerais indéfiniment rester ici.
En début d’après-midi, j’arrive à mon campement désigné : Happy Camp. A nouveau, je pourrais aisément continuer à avancer, mais il en a été décidé autrement. En même temps, je ne me fais pas prier pour profiter de la magie du lieu ; je m’assieds au bord de la rivière, me délasse les pieds dans l’eau, profite du soleil et finis par m’allonger pour faire la sieste. Je me relève un peu plus tard pour me balader dans les environs, prendre le temps de flâner et de m’immerger dans cette nature incroyable. Je suis au cœur d’un havre de paix et j’en savoure chaque détail.
Le calme de la montagne est alors interrompu par le bourdonnement d’un hélicoptère dans le ciel. Nous assistons à une intervention des secours en direct. Une randonneuse souffre de déshydratation suite à son ascension du col et aux fortes chaleurs. Victime d’un malaise, elle ne peut pas poursuivre sa marche et doit être rapatriée par l’équipe médicale. Rien de grave heureusement, elle sera vite sur pied, mais cet incident nous rappelle à tous qu’il faut rester prudent, écouter son corps et en prendre soin, connaître ses limites et se ménager, pour éviter les situations critiques, voire les accidents.
C’est sous un soleil radieux que je me réveille en ce quatrième jour après une bonne nuit de sommeil. Aujourd’hui, c’est grasse matinée ! Je prends mon temps et je ne tiens absolument pas compte de l’heure. De toute façon, sans montre et avec un téléphone en bout de vie, ça devient compliqué… Mais pas besoin de me presser, j’ai pu constater au fil de mes journées de marche que j’avançais rapidement et atteignais toujours mon objectif tôt dans l’après-midi, sans pression.
Peu de kilomètres m’attendent aujourd’hui et c’est une raison de plus de profiter des petits plaisirs de la randonnée : baignades dans les innombrables lacs aux abords du sentier, dégustation des myrtilles sauvages qui envahissent les buissons, admiration perpétuelle des paysages idylliques qui m’entourent.
Comme prévu lors de ma réservation, je plante ma tente à Lindeman City. Malheureusement pour moi, la plupart de mes compagnons de route poursuivent leur chemin quelques kilomètres plus loin, pour s’installer au campement de Bare Loon. Je souhaitais moi aussi profiter de cet emplacement, supposé magnifique et chaudement recommandé par un de mes amis à Whitehorse, mais il affichait complet au moment de l’obtention de mon permis pour le sentier. J’ai donc dû choisir une autre option.
Le cadre que m’offre Lindeman City n’est certes pas pour me déplaire : situé sur le bord d’un lac vert émeraude, le camp est entouré de multiples chaînes de montagnes. Les emplacements pour nos tentes se trouvent à quelques mètres à peine de l’eau ; le bruit des vagues nous bercera cette nuit. Une cabane de bois permet de manger à l’abri du vent et une large tente montée par les gardiens de Parcs Canada accueille une exposition sur la ruée vers l’or du Klondike, photos d’époque à l’appui.
Nous ne sommes cependant que quatre randonneurs à avoir posé nos sacs à dos ici. Le campement me paraît dès lors bien vide ce soir. Je réalise soudain que le dernier jour approche. Demain, chacun rentrera chez soi. Et sans doute, ne reverrai-je jamais toutes ces personnes rencontrées sur le chemin…
C’est toute la particularité d’une randonnée itinérante où l’on côtoie tous les jours, pendant une durée définie, d’autres marcheurs. Assez rapidement, on tisse des liens. On discute, on rigole, on débat, et on finit par se raconter nos vies, partageant parfois des choses plus personnelles. En quelques jours à peine, on devient proches. Et puis, la relation s’achève, aussi vite qu’elle avait commencé. Nos chemins se séparent sans que l’on puisse réellement y faire quelque chose. Et ces personnes qui furent omniprésentes pendant quelques jours, disparaissent brusquement, presque sans laisser de trace.
Certes, on pourra garder contact, mais le choc de cette rupture, ainsi que le vide créé par celle-ci, restent néanmoins présents.
Le matin du dernier jour, je suis la dernière à replier ma tente. En me levant, le camp était déjà vide. Pas de pression cependant, car il ne me reste que onze kilomètres à parcourir pour rejoindre Bennett City où je prendrai le train pour rentrer à Skagway. Le départ de celui-ci est prévu à 15 h 15, j’ai donc largement le temps d’y arriver.
Une petite heure de marche me permet d’atteindre Bare Loon qui, comme on me l’avait décrit, est probablement le plus beau campement du sentier. N’étant point pressée, je décide d’y faire une pause pour me baigner. Quel délice ! Je profite des plateformes dédiées aux tentes – vides à cette heure – pour m’allonger et me sécher au soleil. Je resterais bien ici, encore et encore…
Après un long moment de délassement, je me remets finalement en route. La fin du sentier s’avère particulièrement monotone. Les derniers kilomètres, sur du sable, me semblent interminables. J’ai envie d’arriver. Comme toujours, c’est ce fameux dernier tronçon qui me paraît le plus long.
Enfin, je l’aperçois : le lac Bennett ! Magnifique !
Je voudrais pouvoir contempler ce paysage merveilleux et oublier le reste, mais je suis entourée d’une multitude de touristes.
Quel contraste avec les randonneurs : alors que nous arrivons sales et transpirants, avec pour seul attirail notre sac-à-dos et nos bâtons de marche, eux sont parfaitement habillés, propres et pimpants, occupés à photographier tout ce qui les entoure avec leur appareil dernier cri.
Il est loin, le calme du sentier, il règne ici un fourmillement incessant. Toutes ces personnes se dépêchent de faire le tour de cette ville fantôme, aujourd’hui coupée de toute civilisation et uniquement accessible en train, en hydravion, ou après 35 miles de marche en montagne…
Tout comme Dyea, le point de départ de la Piste Chilkoot, Bennett n’est plus qu’un lieu de passage, témoin d’une grande époque aujourd’hui révolue. Jadis, on pouvait y voir des gens par milliers ; aujourd’hui, si ce n’était pour les randonneurs et les touristes, il ne resterait rien de ce lieu historique.
C’est le temps des « au revoir ». Mes amis alaskiens continuent leur expédition comme au bon vieux temps : en canot ! Ils vont rejoindre Whitehorse en pagayant, portés par le courant du fleuve Yukon. Une véritable aventure digne de la ruée vers l’or ! Je salue également ceux qui prennent le train dans la direction opposée à la mienne, vers Carcross.
Quelques uns de mes compagnons de route m’accompagnent encore dans le wagon qui rentre en Alaska, à Skagway, et nous profitons ensemble de cette fin de voyage magique.
Le retour en train est une parfaite conclusion à mon périple. Le trajet est spectaculaire : nous sommes au plus près des montagnes, frôlant les falaises, ressentant quelques frissons dus au vertige. C’est une redécouverte des paysages vus lors du trajet aller en voiture, une nouvelle perspective pour des tableaux déjà observés à maintes reprises. Le train offre la possibilité d’une vue panoramique, d’autant que l’on peut prendre place sur les plateformes extérieures situées entre chaque wagon. L’effort de la randonnée est ici grandement récompensé.
Arrivée à Skagway, mon premier objectif est de trouver une douche ! Une fois bien propre et remise de mes émotions, je retrouve les derniers rescapés de notre groupe formé au fur et à mesure des jours de marche. Nous fêtons la fin de cette aventure avec une bière et un burger de la Skagway Brewery Company, adresse que je recommande vivement. Place aux derniers adieux. Il me faut maintenant reprendre la route, en voiture cette fois, direction Whitehorse. Deux heures de route et un nouveau passage de frontière. Le Chilkoot est définitivement fini, mais j’ai déjà les yeux rivés sur ma prochaine randonnée…
(7)Commentaires
OooooOOOh oui ! Mais prépare toi à me traîner
<3 Merci à toi Hélène de m'avoir donné l'opportunité de partager mes aventures avec un plus grand nombre !! La prochaine fois, je t'embarque avec moi en vrai ! ;-)
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