Il y a quelques temps, j’ai été invitée par l’Office du Tourisme de Taïwan à aller découvrir cette destination du PVT de façon peu conventionnelle : à vélo ! Pendant 9 jours, j’ai parcouru près de 900 kilomètres tout autour de Taïwan. Ce fut pour moi l’occasion de découvrir la richesse de cette île bien plus grande que ce qu’on peut le penser.
Ce qui m’a convaincue qu’un PVT à Taïwan pouvait être une bonne expérience, ce sont les paysages (bien plus variés que ce que j’imaginais), le coût de la vie peu élevé, et cette culture unique, ayant de fortes influences à la fois chinoise et japonaise.
J’arrive la veille du départ, à Taipei. Je rencontre deux Singapouriens, avec qui je vais réaliser cette grande aventure. C’est la première fois que je viens à Taipei et je découvre la ville totalement illuminée en soirée. Il ne me faut que quelques minutes pour apercevoir la Taipei 101, la plus grande tour du pays, qui domine la ville du haut de ses 449 mètres. Je goûte littéralement aux joies de Taipei en allant déguster les délicieux mets de l’un des nombreux marchés de nuit (night-markets) de la ville. Cette première soirée est tout de même assez courte. Demain, on se lève à 6 heures pour le grand départ !
Le jour du départ, je rencontre mes autres camarades d’aventures : nous serons 16 à effectuer ce voyage. Mes camarades viennent d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale, d’Europe et d’Asie. Le rendez-vous est donné à la mairie de Taipei, le point de départ de notre voyage. Là, nous rencontrons les équipes qui vont nous encadrer.
Taïwan organise chaque année à cette période un grand festival de vélo autour de différentes courses allant de quelques heures à plusieurs jours. D’autres équipes partent en même temps que nous, mais elles iront dans l’autre direction. Après avoir découvert nos vélos, nous nous élançons pour de bon vers 10 h. C’est parti, maintenant, on ne recule plus, il va falloir faire le tour du pays et revenir dans 9 jours à la mairie de Taipei. Premiers coups de pédales et quelques frayeurs plus tard (les joies du vélo en ville), nous quittons à bonne allure Taipei et sa banlieue.
La première difficulté pour moi arrive plus tôt que je ne l’avais espéré : la côte de Jifu road dans le district de Nuanan. C’est notre première grosse côte, et après quelques minutes, je décide de descendre de mon vélo et de finir à pied (mettre le pied à terre dès la première matinée du voyage n’augure clairement rien de bon). Mais heureusement, bonne surprise, je découvre que je ne suis pas la seule à le faire. C’est la première fois qu’on me dit qu’après une côte, il y a toujours une descente… Celle-ci commence par un long tunnel de quelques kilomètres où nous entrons tous ensemble (les plus sportifs nous avaient attendus plus haut). Nous continuons à descendre jusqu’à notre pause-déjeuner. Je réalise à ce moment que nous avons quitté la ville. Nous sommes désormais dans le petit village de Shifen, connu pour son imposante cascade de 20 mètres de haut et de 40 mètres de large (la plus large de Taiwan), son passé de ville minière, ses vieilles rues (la rue principale est parcourue par l’ancienne ligne de chemin de fer) et son festival de lanternes.
Après le déjeuner, nous reprenons la route pour rejoindre rapidement le Old Caoling Tunnel et la ville de Fulong. Il s’agit d’une ligne de chemin de fer désaffectée, remplacée dans les années 1980 par une ligne plus moderne.
L’ancienne ligne a été transformée en une petite piste cyclable d’un peu plus de 2 kilomètre qui nous a permis de rejoindre la ville de Fulong sur la côte Est. Il y avait un peu de monde ce jour là (un dimanche), mais la promenade était sympathique. Il y a même de la musique dans quelques parties du tunnel. En sortant, nous nous retrouvons nez à nez avec la mer des Philippines, qui nous fait face. En contrebas, on peut aussi apercevoir quelques fermes piscicoles (les courants d’eau froide et d’eau chaude favorisent l’aquaculture dans la région).
Nous terminons la journée à vélo le long de la côte. Commençant à bien sentir la fatigue, je commence à compter les kilomètres qui nous séparent de notre hôtel à Jiaoxi où je sais que des sources d’eau chaude nous attendent. Après le dîner, nous partons avec une bonne partie de notre équipe pour nous balader dans la ville. Jiaoxi est reconnue pour ses sources naturelles d’eau chaude et on en trouve en effet plusieurs dans la ville. Les habitants et les touristes peuvent venir se faire un petit bain de pied à tout moment. L’eau y très chaude, on sent immédiatement l’effet sur ses pieds et ses mollets mis à dure épreuve pendant cette première journée. Et puis on ressort de là avec une peau toute douce.
La journée se termine avec un petit fish spa pour moi (d’autres préfèreront aller goûter les spécialités locales au night market) puis par un passage à la piscine de l’hôtel qui propose ses propres sources d’eau chaude et des massages par jets d’eau. Je termine cette première journée en prenant soin de mes muscles endoloris grâce aux jets d’eau tout en contemplant la constellation d’Orion qui me fait face. Éreintante, mais plutôt sympa cette première journée !
Nous commençons cette deuxième journée de vélo par… un trajet en train. Toute une portion de la route est jugée trop dangereuse par les organisateurs.
Sur cette partie, il n’y a pas vraiment de pistes cyclables et les routes sont assez étroites. Même si la route semblait assez fantastique, juchée à flan de colline, elle n’est pas adaptée pour de nombreux cyclistes (voici une vidéo pour ceux qui voudraient avoir un un aperçu).
Des trains font tout le tour de l’île. Sur la côte est (la partie la moins peuplée de Taïwan), les trains s’arrêtent généralement à toutes les stations. Au cours du trajet, nous entrevoyons le Taroko National Park, un des parcs nationaux les plus populaires (et apparemment un des plus beaux de l’île), connu notamment pour ses gorges de Taroko, longues de 19 kilomètres, et ses sentiers de rando.
Arrivés à Hualien, nous enfourchons nos vélos (ô douleur, ô désespoir pour mon fessier, les courbatures de la veille étant bien présentes !) et nous voilà entrant dans la East Rift Valley, aussi connue sous le nom de vallée de Huatung, une magnifique vallée encaissée entre la chaîne de Chungyang à l’Ouest, la principale chaîne de montagnes de Taïwan qui occupe tout le centre du pays (il y a plein de montagnes à Taïwan, le plus haut sommet se trouve à 3 952 mètres) et la chaîne de Haian à l’est, plus petite, qui longe la mer des Philippines. Cette vallée fantastique s’étire sur 180 kilomètres environ. Cela tombe bien, nous irons jusqu’au bout !
Beaucoup moins peuplée que l’est du pays et peu touristique, la vallée est très agricole, avec des rizières et de la verdure à perte de vue. Nous y sommes à la bonne saison : le riz n’a pas encore été récolté (plusieurs récoltes sont effectuées dans l’année) et la couleur des rizières commence à virer au doré, signe que les récoltes vont bientôt être faites. Dans l’après-midi, nous quittons la route principale pour nous enfoncer encore plus dans la campagne. Il n’y a quasiment personne là où nous pédalons.
En fin de journée, alors que nous rejoignons notre hôtel dans une toute petite ville, j’ai la mauvaise surprise de découvrir que j’ai crevé. Les deux vans, qui nous accompagnent tout le long de notre trip, n’ont pas pu venir sur cette portion réservée aux cyclistes. Qu’à cela ne tienne, une de nos accompagnatrices me donne le sien.
Ces deux premiers jours ont été fantastiques, j’en ai pris plein les yeux, surtout dans la East Rift Valley. Physiquement, c’était un peu plus compliqué. Je ne suis pas une grande sportive dans l’âme et je n’avais jamais fait autant de sport dans un si court laps de temps. Malgré la fatigue, un gros challenge m’attend demain : atteindre la barre symbolique des 100 kilomètres en une seule journée. J’avais réussi à faire 96 kilomètres la première journée, donc ça ne devrait pas être totalement impossible à atteindre. Toutefois, à ce moment-là, je n’avais pas deux jours de vélo dans les pattes…
C’est le grand jour. Nous allons passer la barre des 100 kilomètres en une journée. Cet objectif, que beaucoup de fans de vélo se fixent au bout de quelques semaines d’entrainement, je vais devoir l’atteindre après seulement 2 jours… La journée commence bien : nous sommes toujours dans la East River Valley, les routes sont très agréables à parcourir avec les rizières dominées par les deux chaînes de montagne qui nous entourent. Peu après notre départ, nous nous arrêtons au croisement de deux plaques tectoniques : la plaque philippine et la plaque eurasienne. La rencontre de deux plaques tectoniques est particulièrement rare sur la terre. Généralement, la rencontre de ces plaques se fait en pleine mer. Seuls deux de ces endroits sur terre sont accessibles à pied, à vélo ou en voiture : la première se situe au beau milieu de l’Islande où les plaque eurasienne et nord-américaine se rencontrent, et la seconde se trouve à Taïwan. À cet endroit, la plaque philippine monte sur la plaque eurasienne, tandis que plus au nord, la plaque philippine plonge sous la plaque eurasienne (phénomène de subduction). Un risque sismique important résulte de l’enchevêtrement complexe de ces deux plaques. Le croisement de ces plaques explique aussi les reliefs si particuliers que l’on trouve à Taïwan.
Mais revenons à nos rizières. La route est super agréable : peu de circulation et de magnifiques paysages autour de nous. La vallée est très fertile : le climat permet de réaliser au moins deux récoltes pendant l’année : une première en juin, et la seconde en novembre. La meilleure période pour visiter la région est peut-être cette période peu de temps avant les récoltes, quand les champs sont soit très verts, soit se parent d’une jolie couleur dorée. Le coin peut aussi être magnifique quand les champs de riz sont totalement immergés et que les montagnes se reflètent dans les rizières.
Dans le petit village de Chishang, nous bifurquons pour quitter la voie principale et nous enfoncer encore plus dans les rizières. Une piste cyclable a été mise en place pour profiter pleinement des splendides paysages du coin. On se sent libre, léger (I believe I can bike !) et les coups de pédale se font moins difficiles. Explorer le coin à vélo est tout simplement réjouissant. Alors que je commençais un peu à fatiguer, ce plein de paysages merveilleux me redonne l’énergie suffisante jusqu’au déjeuner.
Pour le déjeuner, nous dégustons un bento largement mérité au pied d’une gare désaffectée. Je sens que l’après-midi va être compliqué. Je vais essayer d’aller jusqu’à mon objectif des 100 kilomètres et je m’arrêterais ensuite pour monter dans un des vans qui nous accompagnent…
Nos pérégrinations nous conduisent à proximité d’une colline sur les hauteurs de Luyeh (Luyeh Highland), un point d’observation situé à 350 mètres de haut depuis lequel on peut avoir une jolie vue sur une bonne partie de la vallée. Pendant l’été, entre juillet et août, un festival de montgolfières se tient à cet endroit même. Il est aussi possible d’y pratiquer du parapente.
Je passe l’objectif des 100 kilomètres. Encore plus incroyable, j’ai encore de l’énergie pour continuer (je ne sais pas comment, mais tous ces paysages et la motivation de mes camarades m’inspirent). C’est difficile certes (j’en ch** beaucoup, oui, oui) mais je sens que je peux aller au bout de cette journée. À mesure que nous nous approchons du village de Zhiben, nous quittons la East Rift Valley où nous venons de passer deux très belles journées. J’ai adoré cette région où j’aurais aimé passer encore plus de temps. Les dernières côtes de la journée m’achèvent et celle juste avant l’hôtel me fatiguent plus que les autres. Arrivée à l’hôtel, je m’effondre sur l’un des canapés de l’entrée.
Je l’ai fait, j’ai rempli mon objectif des 100 kilomètres en une journée, et je l’ai même dépassé de 28 kilomètres. Mon dos et mon postérieur sont en piteux état. Mais là encore, des sources d’eau chaude et des bains à remous nous attendent dans l’hôtel où nous logeons. Bonheur !
Le lever est difficile, les courbatures sont toujours là (soigner le mal par le mal ne fonctionne apparemment pas). De plus, je sais que je dois effectuer une très grosse montée dans l’après-midi et je déteste les côtes. Je décide que je monterai dans le van à ce moment-là. Mon challenge, je l’ai réalisé la veille, inutile de m’en lancé d’autres.
Nous retrouvons donc la côte est de Taïwan, la route le long de la mer des Philippines est absolument magnifique. La côte est très sauvage et il n’y a que très peu d’habitants et de béton dans ce coin.
Les vues tout simplement époustouflantes. La différence de niveau entre les premiers mètres en bord de plage et plus loin au large donne une tonalité bicolore à la mer. Par contre, nous commençons la journée avec une première côte très difficile. Après la première pause de la matinée, nous apprenons qu’une seconde grosse montée nous attend, toujours le long de la côte. Mais cette fois-ci, la route est en travaux et certaines portions doivent être réalisées de façon alternée sur une route très étroite et en pente. Les camions et les bus qui passent par là nous frôlent en passant à seulement quelques centimètres de nous. Pour la première fois, je ne suis vraiment pas sereine à côté de ces véhicules.
Finalement, j’arrêterai de pédaler beaucoup plus tôt que prévu. Je n’aime définitivement pas cette portion de route, et je préfère admirer les paysages depuis le van. Après quelques centaines de mètres, je vois un de mes camarades sur le bas côté de la route. C’est la première véritable chute de notre voyage. Nous allons le récupérer, mais une ambulance arrive très vite et l’emmène un peu plus loin dans une petite clinique locale pour panser ses plaies et effectuer des radios. Sur place, nous retrouvons un autre de mes équipiers qui a chuté un peu plus loin sur une partie où se trouvaient des graviers. Mauvaise passe pour notre groupe. Heureusement, les deux n’ont rien de bien grave. Pour l’un d’eux, c’est juste quelques égratignures et il peut remonter sur son vélo pour le reste de l’après-midi. Pour l’autre en revanche, des douleurs au coude et au poignet l’empêcheront de faire du vélo pendant les deux prochains jours.
À hauteur du village de Daren, nous quittons pour de bon la côte est de l’île pour rejoindre la partie ouest en passant par les collines du sud de l’île. Mes camarades doivent effectuer une montée de 12 kilomètres de long pour atteindre un sommet situé à 450 mètres au-dessus du niveau de la mer. Bien à l’aise dans le van, je peux profiter des paysages et admirer les reliefs très vallonnés du sud de Taïwan. Les nuages qui se glissent au creux des vallées donnent un petit caractère mystique plutôt plaisant.
Sur le plateau, nous empruntons la magnifique route 199 qui s’étire sur une quarantaine de kilomètres environ. Cette route nous conduit aussi au sein de la communauté aborigène de Paiwan. Les autochtones de Taïwan (appelés les « habitants originels ») représentent seulement 2 % de la population. Seize ethnies sont reconnues par l’État, mais il y en aurait dans les faits approximativement 27. Ces divisions ne prennent pas en compte les subdivisions au sein des ethnies. Nous avons notamment eu l’occasion de nous arrêter à l’école située à Mudan, où la majorité des élèves sont issus de l’ethnie Paiwan. Située haut dans les montagnes, cette petite école semble isolée du reste du monde.
Mais il est temps de quitter le plateau et de redescendre vers la côte. Remontée sur mon vélo, j’apprécie pleinement les vues sur le chemin. Les petites routes à travers la végétation sont très agréables. Nous alternons entre des routes entourées d’arbres et des routes le long des cours d’eau. Alors que nous redescendons et que la fin de la journée approche, nous admirons au loin le petit village de Mudan et son réservoir, baignant dans une lumière stupéfiante.
À la tombée de la nuit, nous arrivons à notre hôtel, qui fait face à la mer de Chine. Nous sommes passés d’une mer à une autre aujourd’hui !
Ces deux dernières journées ont été exquises. Après avoir réalisé et surpassé l’objectif que je m’étais fixé, j’ai profité de la quatrième journée pour m’extasier devant les paysages tout en ménageant un peu mes forces. Nous n’avons même pas encore atteint la moitié de notre épopée. Demain, nous quitterons cette merveilleuse partie sud de Taïwan pour retrouver la ville, et plus précisément Kaoshiung, la deuxième ville de l’île.
Je vais encore avoir besoin de beaucoup d’énergie.
Ce matin, nous nous réveillons dans la petite ville de Checheng. Depuis ma chambre, j’observe la mer de Chine, mais je remarque très vite aux arbres couchés au bord de la plage qu’il y a beaucoup de vent. Ma grand-mère le décrirait comme un « vent à décorner les bœufs ». Et une fois sur nos vélos, nous le sentons ce vent. Il descend des montagnes qui se trouvent à l’est. Je suis régulièrement poussée sur la droite et la lutte avec le vent est compliquée de bon matin. Mais les vues sur la mer sont agréables, il fait un temps superbe et nous sommes ici sur des voies réservées aux cyclistes. Après 4 jours de vélo, nous commençons à avoir une bonne allure. Nous allons plus vite que les premiers jours.
Au moment de la pause déjeuner, nous avons déjà parcouru une bonne cinquantaine de kilomètres. Nous allons pouvoir profiter de la fin de l’après-midi et de la soirée à Kaohsiung, la deuxième plus grande ville du pays. Après 3 jours dans la campagne, nous retrouvons la région urbanisée de Taïwan située à l’ouest de l’île. L’arrivée à proximité de Kaohsiung est particulièrement impressionnante. Nous passons au milieu d’une imposante zone industrielle. C’est sûr, nous sommes bien sortis de la campagne !
Heureusement, la ville de Kaohsiung n’est pas constituée exclusivement d’énormes zones industrielles. Avant de rejoindre le centre-ville, nous empruntons ainsi une charmante voie réservée aux cyclistes.
Ayant fini tôt notre journée, nous pouvons profiter pleinement de la soirée pour explorer quelques attractions de la ville. À commencer par le Lotus pond. Situé au nord de la ville, on peut y voir différents temples construit directement sur le bassin. Je vous recommande d’y aller de nuit, lorsque les temples sont éclairés. Les petites balades le soir le long du bassin sont particulièrement populaires auprès des Taïwanais.
Un gentil monsieur nous recommande d’aller voir le marché de nuit se trouvant sur Liuhe Street, proche du centre-ville.
Sur place, nous pouvons déguster des brochettes en tout genre (fruit de mer, viande, légumes), des gaufres, des petits gâteaux fourrés, mais aussi du tofu puant. Oui, oui, c’est son nom (en anglais stinky tofu). Il s’agit de tofu fermenté ayant une odeur extrêmement forte (on le sent à plusieurs mètres aux alentours et si vous en cherchez, vous n’avez qu’à suivre l’odeur). Alors que certains de mes camarades vont explorer la vie nocturne de Kaohsiung et plus particulièrement ses boîtes de nuit, de mon côté, je préfère aller dormir, avant la grande journée qui nous attend demain. De nouveau, nous allons devoir parcourir 125 kilomètres.
Le trajet du 6e jour n’a qu’un intérêt limité en termes de paysages. Nous alternons entre des villes et des régions agricoles. La petite curiosité de la journée s’avère être des petits magasins sur le bord de la route : des femmes sont habillées avec des robes plutôt courtes et proposent des boissons, des cigarettes, mais surtout du bétel, connu pour ses effets stimulants et coupe-faim. Ces femmes (souvent jeunes, mais pas toujours) sont les restes de ce qu’on appelait auparavant des beautés du bétel (betel nuts beauty). Autrefois beaucoup plus déshabillées (en sous-vêtement en dentelle et jarretelles), leur activité avait été réglementée par les autorités taïwanaises qui jugeaient que leurs tenues trop affriolantes pouvaient causer des accidents de voiture.
Assises dans leur petite boutique, préparant les noix de bétel pour leurs clients, ces jeunes femmes me font penser aux cafés con piernas au Chili (« café avec les jambes » en français) où le staff est composé de jolies serveuses vêtues de robes ou de jupes courtes, et servant les cafés derrière leur comptoir un peu surélevé. La différence ici est que les Taïwanaises semblent tenir elles-mêmes leur boutique et ne dépendent pas d’un employeur.
Nous déjeunons dans la ville de Tainan que j’avais déjà visitée lors de mon précédent séjour. Tainan, la plus ancienne ville du pays, est considérée comme la capitale culinaire de Taïwan, et effectivement, on y mange très bien. Vous pouvez y goûter des omelettes aux huîtres, des danzai noodles, de délicieux beignets de crevettes, des palourdes sautées ou encore du poulpe sous toutes ses formes. La ville regorge de night markets, dont l’énorme Wusheng night market situé au nord de la ville où vous passez une soirée culinairement riche et où les cuisines japonaise et chinoise fusionnent pour le plaisir de vos papilles. Tainan est aussi réputée pour ses temples (on en dénombre 300 dans la ville !). Lors de mon premier séjour, j’avais particulièrement aimé le temple de Confucius (le premier temple dédié à Confucius sur l’île de Taïwan) avec sa magnifique couleur ocre et la tour de Chihkan qui témoigne de la présence hollandaise à Taïwan (pendant une vingtaine d’années au 17e siècle). Un peu plus éloigné du centre-ville, j’avais aussi beaucoup aimé visiter le quartier de Anping, qui compte également de nombreux vestiges coloniaux, et notamment la Anping tree house, une ancienne maison désormais recouverte d’arbres banians.
Dans l’après-midi, nous longeons tout un tas de petits canaux. La côte ouest est beaucoup plus urbanisée que la côte est, mais parcourir ces petites pistes cyclables en milieu urbain reste très agréable. En revanche, nous luttons contre le vent qui nous fait face et nous ralentit énormément. Quand je vois ce vent, je me demande ce qui est pire entre les côtes et le plat avec du vent de face. Finalement, peu après avoir parcouru 100 kilomètres, je préfère m’arrêter pour la journée, exténuée par cet après-midi. Mes camarades finiront cette journée peu après la nuit tombée.
Pendant la matinée, nous alternons entre des petites villes et des régions agricoles. Les récoltes ont commencé dans cette région et des mini moissonneuses sont à l’œuvre dans les rizières. Nous croisons aussi beaucoup d’élevages de canards sur la route. Même si les montagnes et les paysages de l’est de l’île me manquent déjà, j’imaginais la côte ouest beaucoup plus urbanisée, beaucoup plus bétonnée. Cette partie de l’ouest est certes beaucoup moins sauvage que la côte est, mais l’agriculture et l’aspect rural ont aussi toute leur place dans cette partie de Taïwan.
Nous empruntons le pont Xiluo entre les comtés de Yunlin et Changhua. Ce pont résume un peu la période contemporaine de Taïwan. La construction débuta en 1937, quand Taïwan était encore sous domination japonaise (Taïwan a été japonais pendant 50 ans entre 1895 et 1945). La construction fut interrompue à la suite de l’entrée en guerre du Japon face aux États-Unis en 1941. La construction reprit finalement en 1952, quand le nouveau gouvernement de Taïwan, soutenu par les États-Unis, a pris son autonomie par rapport à la République populaire de Chine. Sa construction, grâce à l’action de ces 3 pays, est symbolisée par la présence des 3 drapeaux à l’entrée du pont. À l’époque de son inauguration, ce pont était le second plus grand pont du monde après celui de San Francisco.
Nous remontons tranquillement vers la ville de Taichung. Aujourd’hui, et pour la première fois, j’arrive à rester toute la journée avec le groupe de tête. Je m’accroche à mes camarades comme une moule à son rocher pour garder une bonne allure et me protéger du vent du nord qui continue de nous ralentir. J’ai tenu le rythme, j’ai l’impression que je pourrais continuer à pédaler pendant des semaines…
Aujourd’hui, c’est l’avant-dernier jour. Et sans que je sache trop pourquoi (enfin si, je viens de faire 7 jours de vélo…), un de mes genoux décide de m’abandonner. Quelques minutes après le début de la course de la journée, je dois remonter dans le van pour la troisième fois depuis le début de mon séjour. La veille, j’ai appris que je ne pourrais pas finir totalement le tour : mon avion étant trop tôt en fin d’après-midi, je quitterai mes camarades pour rejoindre l’aéroport après le déjeuner, le 9e et dernier jour.
Alors que je mets mon genou sous la glace, l’une de nos pauses nous conduit au temple de Daijia Jenn Lann. Ce temple, très connu à Taïwan est dédié à la déesse Mazu, une déesse protectrice des marins (c’est la même que l’on retrouve à Hong-Kong sous le nom de Tin Hau). Mazu est une figure très importante dans la culture taïwanaise. Le temple a une histoire de 200 ans. Chaque année, entre le mois d’avril et de mai (le 23e jour du calendrier lunaire), un énorme pèlerinage sur 7 jours célèbre l’anniversaire de la déesse. Les pèlerins, présents par centaines de milliers, partent du temple de Daijia Jeen Lann pour rejoindre le temple de Feintien dans la région de Chiayi.
Nous reprenons la route (je reste encore une bonne heure dans le van) et le prochain arrêt est le siège de l’entreprise spécialisée de vélo Giant, l’entreprise avec laquelle nous réalisons le tour de Taïwan. En sortant de cette visite, je réalise que ce sont mes dernières heures de vélo, et je trouve ça dommage de ne pas en profiter pleinement. Même si mon genou me fait encore mal, je compte terminer ma course. Après tout, la douleur est inévitable dans un tour comme celui-ci.
Après le déjeuner, nous rejoignons la côte et retrouvons la mer de Chine, où nous apercevons des champs d’éoliennes. Le matin, on nous les avait présentées comme des moulins à vent (windmill – ce qu’ils sont en fait) mais j’ignore pourquoi, je m’étais imaginée des moulins à vent plutôt de type hollandais que de type éolien. La vue sur la mer est très agréable, et nous sommes totalement seuls sur la piste cyclable que nous empruntons le long de la digue. Sur le chemin, nous nous arrêtons dans un temple plus moderne, dédié lui aussi à la déesse Mazu.
La fin du trajet est un peu monotone. Ce satané vent du nord n’aide pas à apprécier pleinement cette partie de l’île. Nous arrivons finalement en fin d’après-midi à Hsinshu. Notre hôtel étant dans le centre-ville, nous en profitons pour aller goûter de délicieux ramen. Décidée à profiter pleinement de ma dernière soirée, j’accompagne même une partie de mes camarades dans un night-club de la ville. Comme l’entrée et les consommations sont gratuites pour moi, je vais en profiter un peu. Et puis tant pis, je n’ai plus qu’une matinée de vélo le lendemain. Je n’étais pas allée en boîte depuis à peu près 10 ans. Il n’y a pas à dire, le vélo, ça rajeunit !
La nuit fut courte, mais je me sens d’attaque pour cette dernière journée. Notre guide nous prévient qu’il y aura une côte assez raide, mais courte. À mesure que nous nous approchons de Taipei, je crois que nous allons pédaler dans un environnement très urbain, encore plus urbain que ceux des derniers jours. Mais bonne surprise, nous revoici au beau milieu de la campagne, à pédaler entre les champs de riz et les champs de thé !
Nous empruntons des petites routes bucoliques entre des terres agricoles et des rizières en terrasse. Puis arrive la fameuse « petite montée ». Je donne tout ce que j’ai. C’est mon dernier jour, il faut se donner à fond… Oui mais voilà, la petite montée, elle est en fait suivie par 6-7 kilomètres de pente bien raide derrière (la petite blague de la guide en fin de séjour). J’ai cramé toute mon énergie sur la première pente… C’est l’échec le plus total. Je finis donc une grosse partie de cette pente à pied. En même temps, cela me permet de profiter des paysages et d’admirer le coin, un petit havre de verdure entre les rizières, les potagers des habitants et les champs de théiers. La petite route que l’on emprunte est vraiment ravissante et c’est un plaisir de la parcourir à pied à côté de mon vélo. Après un petit passage en forêt et en arrivant là-haut, je maudis gentiment notre guide, très fière de sa blague en cette dernière journée.
Et comme on nous l’a si souvent répété lors de ce séjour : après toute montée, il y a une descente. Et cette dernière est particulièrement top. Nous descendons à vive allure, devons quand même faire attention aux voitures en arrivant sur des voies plus empruntées. Arrivés en bas de la colline en quelques minutes seulement, nous passons devant le grand barrage de Shimen. Cette course folle dans la descente et le réservoir seront les deux derniers grands moments de mon séjour, la pause déjeuner étant quelques mètres plus loin. Quelle chouette façon de terminer mon séjour ! Non sans un pincement au cœur, je quitte les formidables personnes avec qui j’ai eu l’occasion de pédaler pendant 9 jours autour de cette merveilleuse île qu’est Taïwan. Mon périple s’arrête ici et je dois maintenant aller prendre mon vol pour retourner à Hong Kong.
Dans la voiture qui me ramène à l’aéroport, mes sentiments sont partagés. Je suis terriblement heureuse et incroyablement frustrée. Alors que 10 jours plus tôt, j’étais persuadée que je n’arriverais pas à tenir ne serait-ce qu’une journée complète sur mon vélo, me voilà à regretter amèrement de ne pas pouvoir finir complètement cette course. Même si j’ai eu aussi le droit à ma petite médaille pour le tour (ma première médaille !), j’aurais tellement aimé revenir à la mairie de Taipei et célébrer ce moment avec les personnes extraordinaires avec qui j’ai eu l’honneur de faire le tour du pays. Je n’y serais jamais arrivée sans eux, sans leur énergie positive qui me motivait à avancer lorsque la douleur me pressait d’abandonner et de monter dans un des vans. Pendant une semaine, nous avons déliré, plaisanté, galéré, ri aux éclats, souffert, nous sommes devenus une petite famille dont tous les membres étaient complémentaires. Chaque membre de cette équipe et les 4 guides qui nous ont accompagnés auront toujours une petite place dans mon cœur.
Je garde un souvenir ému de cette folle épopée. Taïwan est un pays fabuleux, qui mérite bien plus que 9 jours pour être pleinement exploré. J’ai particulièrement aimé les parties est et sud de l’île. Cette région sauvage, les rizières, les forêts et les collines m’ont totalement séduite. La partie plus urbaine à l’ouest est un peu moins intéressante à parcourir à vélo : je pense qu’on ne peut pas pleinement apprécier l’énergie, le fourmillement et le côté culturel des différentes villes quand on est sur une selle de vélo.
Pour en avoir parlé avec des amis, Taïwan nous a tous fait la même impression : on y va sans trop savoir à quoi s’attendre, sans avoir d’attentes particulières. Pourtant, on repart avec des souvenirs et des beaux paysages plein la tête. On est émerveillé par la beauté de cette merveilleuse île, par la gentillesse et la douceur de ses habitants et par la fabuleuse nourriture que l’on peut y déguster.
Ces quelques jours autour de l’île ne m’ont donné qu’une seule envie : y retourner au plus vite ! D’ailleurs, j’ai déjà mes billets pour revenir à Taipei et y passer quelques jours. Étant à Hong Kong, les vols sont assez accessibles et en deux heures, on peut être dans différents coins du pays (les villes de Kaoshiung, Tainan, Hualien et Taipei disposent d’aéroport avec des liaisons directes depuis Hong Kong). J’espère avoir l’occasion d’y retourner une prochaine fois pour visiter les gorges de Taroko et les parcs nationaux qui se trouvent dans le centre du pays.
Je sais que je n’en ai pas fini avec cette fabuleuse île.
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