En janvier 2014, on est partis en Australie pour un an. Morgane avait ce projet depuis un certain temps et nos études respectives terminées, on a pris nos billets d’avion avec cette unique certitude : nous allions faire un mois de volontariat dans un centre d’art aborigène, à plusieurs centaines de kilomètres d’Alice Springs, dans le désert. Morgane a eu ce contact pendant un stage, mais en réalité, l’expérience est accessible à tout le monde, il suffit d’aller faire une petite recherche Google. Après 3 mois et ½ dans le pays, on s’est dirigés vers le centre pour atterrir à Yuendumu fin avril.

Yuendumu est la plus grosse communauté aborigène d’Australie centrale.

avec un petit millier d’habitants isolés au milieu du désert, qui s’étend à perte de vue. On s’y sent un peu comme sur une île, qui serait reliée au reste de l’Australie uniquement par la Tanami Road, pas toujours goudronnée, par moment inondée.

Dans cette communauté, se trouve le Warlukurlangu art center, l’un des centres d’art les plus importants de la région. Là, j’en vois venir qui vont me dire « ouais mais ta région c’est du désert à 99 % ». Certes il n’y a pas beaucoup de concurrence à moins de 100 km mais c’est loin d’être le seul centre d’art dans les alentours d’Alice Springs.

Le site Desart propose cette carte des centres d’art de la région.

Et mine de rien, à Warlukurlangu, plusieurs centaines d’artistes sont liés au centre, dont une trentaine qui y vient quotidiennement pour peindre.

Ils ne sont toutefois pas les seuls à y travailler, un staff de 5 personnes fait « tourner la baraque » : rémunérer les artistes, fixer un prix aux œuvres, empaqueter celles qui ont été achetées, faire l’inventaire, organiser des visites de galeristes qui viennent de toute l’Australie et même du monde entier…

Le travail

Arrivent enfin les volontaires (c’est nous !) qui donnent un coup de main non négligeable : mélange des peintures, application des sous-couches sur les toiles, rangement de la galerie et lavage des pots sont les principales tâches.

Avec un peu de chance, on peut aussi se voir attribuer des tâches plus funky comme aider les artistes dans leur travail, assembler les cadres puis étendre les toiles dessus…

… conduire le « Troopy » (surnom affectueux du Landcruiser troop carrier, un 4×4 qui s’est pris pour un tank) du centre à travers le bush pour aller couper du bois (à la hache bien sûr, sinon c’est trop facile), faire l’inventaire, s’occuper de la galerie, etc. Et si vous n’êtes pas sage, vous serez désigné volontaire pour laver les chiottes armé d’une lance à incendie !

Ca, c’est votre programme durant la semaine et en contrepartie, l’hébergement est offert ainsi qu’un petit casse-croûte le midi.

Le temps libre

Le week-end, c’est quartier libre, et comme on est en plein milieu du désert, et bien quoi de plus simple et de plus sympa que de partir à sa découverte ? Franchement, on se le demande encore ! Entre les troupeaux de chevaux sauvages qui apparaissent dans la lumière crépusculaire…

… les nuits à la belle étoile loin de tout ou les rando dans des paysages qui n’ont pas grand-chose à envier à Kata-Tjuta… on peut dire que le lot de souvenirs inoubliables fût généreux.

Notre meilleur souvenir ?

De tous, le meilleur est probablement celui de la chasse au goanna. Un samedi matin, de bonne heure, tous les volontaires sont debout car une personne du staff a organisé, avec 3 des artistes aborigènes qui peignent au centre, une virée dans le désert pour aller cueillir des bush-potatoes. Mais à Yuendumu, rien ne se déroule jamais tout à fait comme prévu, finalement, après s’être bien enfoncé dans le bush, les aborigènes nous annoncent que nous sommes dans un coin où il y a des goannas (des gros lézards) alors exit les patates et partons à la chasse au reptile !

Là, les trois artistes, qui doivent chacune avoir plus de 60 ans, entament la traque… Elles sont impressionnantes ! Elles repèrent les terriers et en un clin d’œil décrètent si oui ou non il est habité. Nous, on ne comprend pas trop ce qui se passe et on se demande « mais comment font-elles pour savoir ? ».

Finalement, devant une entrée de terrier qui avait l’air de ressembler à toutes les autres, elles s’arrêtent et sont catégoriques « il y a un goanna là-dessous ! » Les voilà qui creusent inlassablement avec leur digging-sticks à la recherche de la bestiole. Et nous, eh bien, on ne comprend toujours pas : « pourquoi ce trou là ? Elles sont vraiment sûres de leur coup ? » Après avoir creusé sur plus d’un mètre pour accéder aux galeries souterraines, l’une d’entre elles plonge son bras dans la terre et en ressort… un goanna !

La pauvre bête a à peine le temps de comprendre ce qui lui arrive (et nous aussi d’ailleurs) que « Bing et re-bing » elle s’est déjà fait fracasser la tête contre un digging-stick en métal ! On est soufflé et on prend vraiment conscience que les Aborigènes, dans le bush, ils jouent à domicile. Ils en connaissent les moindres recoins et son fonctionnement intime. Là où n’importe qui d’autre voit un environnement hostile et s’inquiète pour sa survie, eux évoluent dans leur élément, au sens propre du terme, avec une facilité déconcertante. Après avoir débusqué un deuxième goanna, on se trouve un petit spot, le lit d’une rivière à sec, on fait 2 feux et hop, on grille les goannas ! On est nombreux donc on en prend qu’un petit bout chacun et le plus gros revient quand même aux chasseuses.

C’est étrange, une sorte de goût de poulet à la texture poisson. Un grand souvenir !

Vous avez probablement noté que nous avons évité de mettre des photos dans lesquels des Aborigènes sont reconnaissables. Il faut savoir que dans de nombreuses cultures aborigènes, lorsqu’une personne décède, il ne doit plus être fait mention d’elle pendant un certain temps, par respect et pour qu’elle repose en paix. C’est pourquoi, vous pourrez voir, au début de certain film ou à l’entrée d’expositions dans un musée, des avertissements du type « ce film/cette expo contient des images de personnes pouvant être décédées» pour permettre aux Aborigènes de s’y préparer.

Comment a-t-on vécu cette expérience ?

Morgane

Un gros choc par rapport à ce que j’attendais. J’avais étudié l’art aborigène et je me réjouissais de voir l’envers du décor, j’avais cette image de quelque chose d’hyper organisé, de dialogues entre les cultures, de possibilités de rentrer dans un autre univers. Ça a été la première claque que j’ai prise en Australie :

1) C’était le premier volontariat que je faisais là et je ne savais pas très bien ce qu’on attendait de moi. L’accueil et la présentation générale ont été un peu légers quand on est arrivés. On a vite pris le pli, le relais est passé par les autres volontaires et on s’est très vite intègre dans la vie de coloc’ et dans la petite routine.

2) J’ai réalisé la différence de mondes entre les œuvres accrochées dans les musées européens que j’ai vus et les œuvres en pleine création sous vos yeux. D’un côté tout est propret, design et tiré à 4 épingles et de l’autre, tout le monde est assis par terre, on essaie tant bien que mal de gérer la trentaine de chiens qui accompagnent leurs maîtres, les œuvres sont partout.

3) Le gouffre toujours présent entre Blancs et Aborigènes. Le poids de l’Histoire dans les relations et la difficulté, notamment dûe à la différence de culture, d’entrer en contact avec les Aborigènes. Non pas qu’ils nous ont ignorés, ont été irrespectueux ou quoique que ce soit du genre mais on avait beaucoup d’anciens, nés dans le bush, parlant un anglais aussi approximatif que le nôtre, avec leur propre langue et dans leur élément. Je me suis sentie décalée. Rosie, notre voisine, une artiste aussi, était là pour faire le lien. Elle a donné à beaucoup d’entre nous leurs noms Warlpiri. Ca nous a intégré dans un réseau social et familial dans la société aborigène de Yuendumu, avec techniquement des droits et des devoirs envers nos anciens. Elle nous a appris des mots en Warlpiri, nous racontait comment c’était avant…

Ce mois à Yuendumu a été extraordinaire dans la découverte du bush et de ses habitants, l’apprentissage du Warlpiri, la rencontre de personnes génialissimes et l’immersion dans une culture qui nous pousse à reconsidérer la nôtre, qui nous donne envie de rester plus longtemps pour comprendre et pouvoir apprécier tout ce qui nous entoure.

Le moment funky : les soirées de la communauté, les disco pour les enfants sur le terrain de basket organisées par les anim’, ou la soirée de la radio locale. Tout le monde danse, s’amuse, court, écoute et chante… même les chiens.

Mo

L’arrivée dans la communauté a été une sacrée baffe pour moi aussi. Au moment de notre arrivée, je lisais pour me documenter un peu sur la chose « Aboriginal Australians » de Richard Broome, qui donne une vue d’ensemble sur l’impact de la colonisation sur la vie des Aborigènes. C’est une lecture très instructive et absolument déprimante, elle permet de comprendre la richesse des cultures aborigènes mais également à quel point elles ont été affaiblies voire anéanties par l’arrivée des Européens. Arrivée à Yuendumu, en discutant avec certaines personnes (non-Aborigènes) dans la communauté, ça n’a fait que confirmer ce mouvement de destruction qui semble ne pas pouvoir s’arrêter. La phrase dont je me souviendrai toujours est celle d’une infirmière, qui avait vraiment à cœur d’aider ses patients aborigènes (ils font face à de nombreux problèmes de santé) du mieux qu’elle pouvait, qui a pourtant dit, l’air désolé, « it is a primitive and dying race ». Ayant côtoyé cette personne, je suis certain que cette phrase n’était pas le reflet d’un racisme hargneux (le mot « race » est plus à comprendre comme « ethnie » en anglais) mais illustre la montagne d’incompréhension qui sépare les Aborigènes des descendants d’Européens.

J’ai eu aussi un peu de mal à me faire, au début, à l’attitude de certaines personnes du staff vis-à-vis des volontaires, qui donnent l’impression de les considérer uniquement comme de la main-d’œuvre peu chère et de passage.

Voilà pour les côtés les moins réjouissants de ce mois à Yuendumu. Je pense que, quoi qu’il arrive, on ne peut pas éviter ce genre de « choc » lorsque l’on découvre pour la première fois ce qu’est le quotidien dans une communauté aborigène. Et finalement c’est probablement cet aspect de l’expérience qui, à terme, est le plus formateur.

Enfin, plusieurs mois après avoir quitté Yuendumu (et après avoir travaillé à Jabiru, la ville du Kakadu, où cohabite, bon an mal an, Aborigènes et descendants d’Européens), j’ai lu le livre de Richard Trudgen, « Why Warriors Lie Down and Die », qui explique de façon très pédagogique les difficultés qu’éprouvent les Aborigènes et les « Blancs » à se comprendre. Si vous avez pour projet d’aller au contact de populations aborigènes, je vous le recommande vivement (à ma connaissance, ce livre n’existe qu’en anglais mais il est découpé en petits chapitres, ce qui facilite la lecture).

Pour conclure

On espère que ça vous aura donné envie de découvrir ce côté-là de l’Australie, il y a plein de bouquins à lire sur le sujet (notamment des autobiographies ou biographies comme « Follow the rabbit-proof fence » de Doris Pilkington) mais aussi de festivals aborigènes partout dans le pays. On a été au Barunga festival. Si vous pouvez y aller, c’est à ne pas rater ! Ambiance géniale, musiques pour tous les goûts, moments de découverte de la culture aborigène et d’échanges, compétitions sportives. Vous passerez 3 jours INCROYABLES !

Mo

Après un PVT itinérant en Australie en 2014, me voilà à Tokyo à partir de juin 2018 et pour un an.

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(11) Commentaires

Nath et Séb I |

Waouw! C’est une très belle expérience que vous nous faites partager! Nous pensions qu’aller à la rencontre des Aborigènes était très compliqué voire déconseillé. Vous nous avez prouvé que c’est faisable et nous vous en remercions!

jojo1986 I |

Superbe expérience ! Je pars en Australie au mois de janvier et aimerais faire l’expérience d’approcher une communauté aborigène, mais sans passer par un organisme touristique, qui je l’imagine, ne permets pas d’entrevoir leur quotidien. Pourriez-vous me donner vos contacts si cela ne vous gêne pas, en message privé ? D’avance merci !

Flore I |

Je serais comme Jojo très interessée par ce genre d’expérience 🙂

Julie I |

Hello Jojo et Flore, je ne sais pas s’ils auront internet prochainement (en Australie c’est inégal les connexions ;)), ils parlent d’une recherche google pour trouver ce bénévolat, donc hésitez pas à faire pareil, soit dans le même centre d’art qu’eux soit ailleurs 😉

Mo I |

Salut,
Alors, pour être volontaire à Warlukurlangu, il suffit de les contacter par mail. Tu peux aller faire un tour sur leur site (on donne le lien en début d’article), il y a pas mal d’infos et leur contact. A priori, si tu demandes un peu en avance tu es quasi sûr d’être pris.
Après, il y a aussi d’autres façons de travailler dans une communauté : on a vu une backpackeuse qui bossait à Gunbalanya en terre d’Arnhem, il y a peut être moyen de travailler dans des festivals comme le Barunga, une amie est revenue à Yuendumu mais pour travailler à la cantine… Pas mal de possibilités donc 🙂
J’espère que tu trouveras ton bonheur !

jojo1986 I |

Merci Mo et Julie pour vos compléments d’infos. Je vais creuser en contactant directement par mail Warlukurlangu ou bien d’autres centres d’art comme vous le conseiller, j’espère trouver mon bonheur ! Bonne continuation à vous 😉

Flore I |

Merci à vous pour les infos et good road 🙂

Eva I |

Quelle belle experience… j’en etais a desesperer que l’Australie ne soit que « sun-sex and beach » !!!

Hélène I |

Quelle expérience!!! Merci pour votre témoignage!! 🙂

Julie I |

Merci pour ce récit très sincère et très intéressant 🙂

Mo I |

Oulala, on est publié, c’est un peu fou ça ! 😀
Merci Lilou pour la mise en page et pour avoir publié l’article 🙂