Pour se rendre en Alaska depuis Dawson City, il n’y a guère le choix : il faut quitter Dawson City en traversant la Yukon River à bord d’un ferry, avant d’emprunter la splendide « Top of the World Highway », une route de terre et de gravillons, qui serpente sur 105 kilomètres à travers des paysages exceptionnels.
Bien entendu, il n’y a ni station-service, ni garage sur cette route. Il faut donc partir en ayant le plein d’essence et une roue de secours à portée de main (ou au moins un « inflator » qui offre un sursis aux pneus crevés).
Après deux jours à Dawson City, Luc et moi embarquons sur le ferry situé tout au bout de Front Street. Ouvert de mai à septembre, il est gratuit, y compris pour les véhicules, et il n’y a pas besoin de réserver. On fait la queue et on attend notre tour… En hiver, rien de tout cela : on roule dessus tout simplement, la rivière est gelée !
Depuis l’autre rive, une vue splendide sur Dawson surgit à travers les arbres et nous contemplons d’en haut ce patelin mythique et légendaire une dernière fois. Nous voici sur la Top of the World.
Une route des crêtes entre terre et ciel
La Top of the World a longtemps été classée l’une des plus belles routes du monde par le magazine National Geographic. Son nom peut sembler étrange : on roule en moyenne à 1200 mètres d’altitude, ce qui est loin d’être le « sommet du monde » ! Seulement voilà, la Top of the World est une route de crêtes : à cause des rudes conditions liées à l’altitude et au climat, la végétation ne pousse pas bien haut et on domine ainsi le paysage de part et d’autre de la route : rien ne s’interpose entre nous et le ciel… comme si nous étions effectivement au sommet du monde. Et c’est magnifique. En contrebas de la route se dessine l’infini : des vallées aux formes arrondies s’alignent les unes derrière les autres, des forêts d’épinettes sont disséminées sur leurs flancs, et au loin, tout au loin, une mer de montagnes aux sommets enneigés défile à l’horizon. En regardant devant nous, on aperçoit la route qui se prolonge au loin, comme un mince filet de terre serpentant sur les crêtes. Nous faisons tout de même attention où nous mettons les pneus : les petits cailloux sont partout et il suffit d’un seul pour crever… ce dont on se passerait bien, surtout ici où il n’y a absolument rien que le wilderness à perte de vue.
Au beau milieu de ces étendues vierges et sauvages surgit à un moment donné, de nulle part, une petite bicoque, plantée là, au milieu de la route. Derrière elle, c’est l’Alaska… Nous voici au poste-frontière qui sépare le Canada des États-Unis. C’est surréaliste.
Poker Creek : un passage de frontière… original
Une personne nous demande nos passeports, les papiers de Jonathan-mon-minivan, et nous pose quelques questions. Ici, il n’y a pas besoin d’ESTA (= l’autorisation de voyage pour entrer aux U.S.) puisque nous arrivons par voie terrestre et non aérienne. En revanche, il faut penser à venir ici avec des dollars américains : le visa se paie en USD et coûte 6 $. On a ainsi droit à un magnifique tampon d’un caribou dans notre passeport et à trois mois sur le sol américain. Il faut savoir que le poste-frontière est ouvert tous les jours de mai à septembre, de 8h à 20h, heure américaine, soit de 9h à 21h heure du Yukon, en fonction des conditions météo et de l’état de la route. Il ferme pour l’hiver dès mi-septembre (jusqu’en mai), et plus aucun passage vers l’Alaska n’est alors possible par cette route-ci…
À l’intérieur du poste-frontière, un grand gaillard bien costaud en uniforme vient nous prendre nos empreintes digitales. Il nous raconte qu’il a fait deux ans d’Irak et nous sert un discours surréaliste, en comparant les quelques caribous – que nous apercevons au même instant par la fenêtre en train de circuler et de passer la frontière sans papiers – à « vos bastards de réfugiés qui viennent en France ». Avant de préciser qu’il préfère les caribous « car ils ne font pas chier, alors que les réfugiés prennent tout et ne donnent rien ». Ambiance. Comme nous n’osons pas trop le contredire, de peur de nous voir refuser le visa, nous changeons de sujet. En ressortant du bâtiment, notre visa en poche, je l’entends dire à ses collègues : « They were very nice ! » Puis il nous rejoint dehors pour nous proposer de nous prendre en photo devant le panneau indiquant que nous nous trouvons à « Poker Creek (à plus de 1200 mètres d’altitude), le poste-frontière terrestre le plus au nord des États-Unis « . Ce panneau précise : « Poker Creek – Population : 3 » : sans aucun doute les trois gardes-frontière que nous avons vus dans le bâtiment ! Ils sont donc trois à vivre là, quelque part sur la Top of the World, au milieu du wilderness, quatre mois sur douze, au poste-frontière le plus au nord des États-Unis… À votre avis, est-ce une promotion d’être mutés ici ? Ou une punition ?
Un spectaculaire « Welcome to Alaska »…
Nous entrons en Alaska. Le ciel n’arrive pas à se décider entre éclaircies et gros nuages menaçants. Cinq cents mètres après le poste-frontière se trouve un large panneau « Welcome to Alaska ». L’endroit n’a pas été choisi par hasard : le panorama qui s’offre à nos yeux est époustouflant et s’étend à l’infini et au-delà. Nous sommes seuls. Il n’y a pas un bruit. Le silence est absolu. Soleil ou orage ? La lumière hésitante fait baigner le décor dans une ambiance féérique. Les arcs-en-ciel nous accompagnent. Nous ne pouvions rêver meilleur accueil.
Nous reprenons la route. Il nous reste cinquante kilomètres à parcourir avant d’arriver au premier bled, « Chicken ». Mais côté Alaska, l’état de la Top of the World est pire que côté canadien et se dégrade rapidement. Ça monte sec et ça descend sec et, pour ajouter une couche à notre stress, d’immenses camions transportant des tonnes de sable ou de-je-ne-sais-quoi nous croisent à grande vitesse, en projetant une pluie de gravillons sur notre pare-brise. On se croit VRAIMENT dans un documentaire de RMC Découvertes ou de France 5, genre « Les Routes de l’impossible ». Bref, nos premiers tours de roues en Alaska ne sont pas de tout repos et nous mettons près de deux heures pour atteindre Chicken.
… et un improbable bled : Chicken !
Tout à Chicken est totalement surréaliste, à commencer par son nom ! Initialement, le bled devait s’appeler « Ptarmigan » (sorte de grosse perdrix), mais comme personne n’arrivait à écrire ni à prononcer correctement ce mot, ils l’ont remplacé par « Chicken ». En hiver, la population est de 15. En été, ça grimpe entre 30 et 50. Il n’y a pas le téléphone. Les portables ne captent pas. Il y a zéro toilette avec chasse d’eau. Aucune déneigeuse ne passe avant avril. Il fait jusqu’à -65°C l’hiver. Le courrier arrive par avion chaque mardi et vendredi, si la météo le permet. C’est le seul village datant de la ruée vers l’or encore en activité. Quelques personnes continuent donc à chercher le précieux métal jaune ici. Vous voyez le tableau…
Nous arrivons devant trois bicoques en rondins de bois : un magasin de souvenirs, un saloon et un resto. Seul le saloon est ouvert. La déco est invraisemblable : les murs et le plafond sont recouverts de casquettes. Le gars derrière le bar, sympa, se débrouille pour nous servir quelque chose à manger, alors que la cuisine est fermée. Il est roux avec des lunettes rondes : un parfait mélange d’Harry Potter et de Ron Weasley. On s’interroge sur ce que peut bien être sa vie ici, à Chicken, lui qui a moins de trente ans… À notre grande stupéfaction, il nous entend parler et nous répond dans un français quasiment parfait. « Harry Weasley » est bien originaire de ce bled, mais a étudié pendant six ans à Paris… et nous voilà à Chicken, dans le rectum du monde, un soir d’été, à la latitude 64, en train de parler avec un Alaskien de la Sorbonne Nouvelle, du périphérique et de la ligne 7 du métro parisien. Il nous dit que, derrière nous, se tiennent deux chercheurs d’or dont c’est réellement le métier. Journée définitivement surréaliste qui « s’achève » au camping gratuit situé juste à côté des trois bâtisses. « S’achève » avec des guillemets, puisque le soleil ne se couche pas et qu’il fait jour une bonne partie de la nuit : pas besoin de frontale dans Jonathan, mais bien de rideaux !
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