- Âge au début du PVT :30 ans
- PVT :en couple à Montréal (Québec), Summerside (IPE), Halifax (Nouvelle-Écosse), en Colombie-Britannique puis au Yukon
- Domaine professionnel : Éducatrice spécialisée
- Activité professionnelle au Canada :Volontaire, professeure d’informatique et de Français Langue Étrangère, éducatrice, animatrice de camps, vendeuse dans un magasin de bagel et un coffee shop, employée dans un cinéma
- Économies en arrivant :2 500 euros chacun
Choisir l’Île-du-Prince-Édouard
Au départ, mon conjoint et moi étions censés partir au Nouveau-Brunswick, mais mon papa est décédé quelques jours après que je sois arrivée au Canada. Ça a été un gros choc. On a un peu revu nos plans. J’ai accepté un poste à Halifax, dans mon domaine, pour l’automne. Entre-temps, j’avais vu sur pvtistes.net l’offre d’une dame qui recherchait un couple pour aller faire un WWOOFing sur l’Île-du-Prince-Édouard pendant l’été. Ça, c’était la veille du décès de mon papa. Quelques heures après le décès de mon papa, bizarrement, je reçois un mail de cette dame qui me dit : « Oh, ton profil m’intéresse vraiment, je voudrais faire un Skype avec vous pour voir ce qu’il est possible de faire ». À ce moment-là, je me dis : « Ok, faut avancer Chris ». Je lui renvoie un mail en lui disant « Ok, on fait un Skype demain » et du coup on s’est fait un Skype le lendemain, ça a super matché, et c’est comme ça qu’on est partis sur l’Île-du-Prince-Édouard de juillet à août.
Quand j’ai vu la photo de cette maison en bord de falaise, avec ces falaises rouges typiques de l’Île-du-Prince-Édouard, je me suis dit : « Wahou, faut qu’on y aille ». Je me suis dit : « J’ai besoin d’aller là-bas, il y a quelque chose qui m’attire ». On connaissait pas du tout l’Île-du-Prince-Édouard et pourtant Pierre, mon conjoint, m’a dit : « On va aller là-bas car tu vas avoir besoin de t’isoler, tu vas avoir besoin de nature, de te retrouver, donc il faut qu’on aille dans un endroit qu’on connaît pas pour repartir. »
On allait à l’inconnu total et complet. On est arrivés à la station essence et on a vu nos hôtes, Angie et Aubrey, qui nous attendaient et qui nous ont conduit à leur maison. Il faut imaginer que juste avant d’arriver, t’as un petit chemin d’un kilomètre à faire, un chemin qui est entouré de buissons. Tu rentres là avec ta voiture, tu te dis : « Où est-ce qu’on va ? Ils vont nous tuer à la fin du chemin ! ». *Rires*
Et d’un coup, c’est tout éclairé, t’as plus d’arbres, t’as plus rien, t’as cette maison en bord de falaise, face au détroit… Tu vois l’océan qui est juste en face de toi, et là tu dis « Wahou ». Là, t’as tous les doutes, toutes les peurs qui sont évanouis, qui s’en vont, ça n’existe plus. Je me suis dit que c’était un peu mon père qui m’avait guidée ici. Voilà, on y croit ou on y croit pas, mais c’est le sentiment que j’ai eu à ce moment-là.
La découverte de la communauté acadienne
Nos hôtes nous ont fait découvrir l’île et sa communauté francophone. Ils nous ont parlé des Acadiens, on a passé des soirées entières à cuisiner, à discuter de l’Acadie et du Grand Dérangement*. On a mangé des marshmallows en bord de falaise… On a pris des bains de minuit. Ils nous ont vendu du rêve. Vraiment, vraiment beaucoup de rêve.
La fête de l’Acadie, c’est tous les 15 août, c’est un jour férié. C’est une grande fête musicale, il y a des grands rassemblements. C’était une grande cérémonie qui avait lieu à Charlottetown, la capitale de l’Île-du-Prince-Édouard, avec un gros feu d’artifice et un groupe de musique, « Les hôtesses d’Hilaire ». Le gars, c’était un grand monsieur avec une grande barbe, comme Hagrid dans Harry Potter. Imagine un gars pareil avec une grande robe noire qui chante de la musique folk acadienne et qui, de temps en temps, fait des trucs un peu métalleux ! *Rires* C’était juste génial ! C’était une grande cérémonie festive autour des valeurs et de la communauté acadienne. Un vrai moment de pur bonheur, ce jour-là.
Destination Halifax !
En arrivant à Halifax, j’ai commencé à travailler dans une garderie francophone, en tant qu’éducatrice. Peu après notre installation, j’avais un coloc qui connaissait quelqu’un qui recherchait une personne pour animer un atelier d’informatique au sein de l’immigration francophone à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse. Le soir même, j’ai passé un entretien et j’ai obtenu ce job. Je travaillais à la fois à la garderie et à l’atelier d’informatique. Si tu vas à Halifax et que tu cherches du travail, il faut aller à l’Université Sainte-Anne.
On s’est dit qu’on allait rester la première année à Halifax, parce qu’on avait dans l’idée de s’acheter un van, de le retaper et de traverser le Canada.
Finalement, le road trip en van ne s’est pas fait. Pierre voulait partir dans le Yukon, c’était son rêve. Il était au petit soin avec moi suite au décès de mon papa. Il était prêt à mettre le Yukon de côté pour moi. Et moi, je ressentais le besoin d’être seule alors j’ai rompu avec lui. Il est parti au Yukon et j’ai continué l’aventure loin de lui.
Je suis restée en Nouvelle-Écosse encore quelques mois pour travailler en tant que professeure de français dans le sud de la province, à Pointe-de-l’Église. J’ai découvert le côté rural de la Nouvelle-Écosse qui était tout aussi beau… L’université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, c’est le porte-drapeau, c’est vraiment l’institution symbole des Acadiens.
Un gros bol d’air à Terre-Neuve avant la traversée du pays
Terre-Neuve-et-Labrador, c’est juste génial. Rien que d’en parler, j’ai les yeux qui pétillent, j’ai envie de pleurer. J’ai adoré ! J’ai eu la chance qu’un ami vienne trois semaines pour que l’on fasse le tour de Terre-Neuve ensemble. On est allés au parc national du Gros-Morne, qui est juste fabuleux, qui est terriblement beau, qui t’impressionne… Tu te dis : « C’est pas possible que des paysages comme ça existent ! » Cette immensité, les océans, les montagnes, les randonnées… On devait se trouver des endroits pour garer la voiture et puis des fois, on arrivait la nuit, on se posait, on faisait nos sandwiches avec nos cannes de thon, de jambon, de la mayo… Des trucs pas super bons, mais bon, bref. Puis le matin, on se réveillait, on se rendait compte qu’on s’était trouvé un parking avec vue sur la mer ou vue sur les montagnes ! C’était fabuleux, de se retrouver en pleine nature. On avait pas de tente, pas de sac de couchage, on est vraiment partis en mode roots. On voulait pas dépenser beaucoup d’argent et on s’est dit : « On fait avec les moyens du bord ». On avait pas d’itinéraire prévu, rien. Après ce road trip, j’ai pris un bus jusqu’à Toronto, et de Toronto à Vancouver, j’ai pris le train.
Le « rail trip » à travers le pays
J’avais juste envie de me poser et de voir. J’adore voyager en train.
Maintenant, à chaque fois que je suis dans un bus, dans un train ou quoi que ce soit, je saisis cette chance ! La traversée dure 4 jours ! Des fois t’es bloquée au milieu de la nuit, tu sais pas pourquoi ! Sinon, y a des petites haltes dans certaines petites villes, des fois tu t’arrêtes une heure, des fois tu t’arrêtes trente minutes ou quatre heures, puis en fonction du temps que t’as, tu vas prendre un café ou faire deux trois courses pour manger… Pour ma part, j’avais pas pris l’option couchette, j’ai dormi sur mon siège pendant 4 jours ! J’avais pas forcément l’argent pour prendre une couchette. Je n’ai eu aucune appréhension, dès le départ, j’ai commencé à discuter avec des personnes, j’ai pas vu le temps passer ! Quand tu es ouverte et quand t’as vraiment envie de découvrir, tu t’ennuies pas, tu t’en fous d’avoir du retard, tu t’en fous de pas bien manger (de manger que des graines et des yaourts !), c’était tellement beau que je m’en suis foutu de tous les petits trucs qui peuvent énerver, c’était juste « Wahou ! ».
Écouter son intuition
Au bout de quelques semaines, j’ai eu un coup de mou. J’ai pris un avion de Vancouver, je suis rentrée en France, et en arrivant à l’aéroport, j’ai vu un mail qui disait : « Bonjour Chrislaure, j’ai bien reçu ton CV et ta lettre de motivation pour être animatrice à Vancouver, est-ce qu’on peut faire un Skype toutes les deux, je suis intéressée par ta candidature ».Quand j’ai posé le pied en France, je savais pas si j’allais retourner au Canada, j’étais perdue. J’étais vraiment mal. Et pis quand j’ai vu ce mail-là… Je me suis dit : « Ok tu vas retourner au Canada. Tu vas rester un mois en France, tu vas faire ce que t’as à faire et… tu retourneras sur la côte ouest. » En France, j’ai fait les vendanges, j’ai bu beaucoup de vin et j’ai mangé beaucoup de bonne bouffe ! *Rires*. J’avais vraiment besoin de rentrer en France pour me remplir de quelque chose… De bouffe, d’amour, d’émotions…
Le fil rouge de la francophonie
En fait, à chaque fois que je dis ça, les gens me croient pas, mais j’ai rencontré des Français et des francophones partout au Canada ! Que ça soit dans le train, dans les hôtels où j’ai dormi, dans mes auberges de jeunesse… Partout ! C’était des fois compliqué car je me disais : « Mais non, je veux parler anglais, moi ! Foutez moi la paix ! » *Rires*. Cette francophonie m’a poursuivi tout le long de mon PVT, même au Yukon.
J’ai reçu un appel de Pierre qui me proposait de le rejoindre au Yukon pour faire un house sitting. C’était une opportunité de malade. Au départ, c’était juste pour y aller cinq semaines… Puis en fait je suis restée à Whitehorse.
« Oh putain, je suis au Yukon ! ». C’était… littéralement mes mots ! Je viens de la classe populaire française. La première fois que j’ai vu la mer, j’avais 17 ans. Et puis après, je me
suis vraiment concentrée sur mes études pour obtenir un job qui puisse me permettre de me sortir un peu de la galère. Ce PVT, c’était aussi un moment pour moi de me dire : « Maintenant c’est le temps d’aller voyager, t’as jamais voyagé dans ta vie, vas-y ». Quand je suis arrivée au Yukon, là, je me suis dit « Ah ouais Chris, t’en es arrivée là, chapeau, tu l’as fait ».
Ce sentiment du bout de monde, de wilderness ! *Rires* C’est sauvage ! C’est tellement génial car c’est ce côté sauvage, un peu rude que les gens ont, mais en même temps c’est de la convivialité ! C’est difficile à expliquer. Ils sont sauvages mais simples, cette simplicité te fait connecter super rapidement avec les gens, y a pas de prise de tête, la vie est juste simple. Et tu te dis… En fait dans la vie, y a pas de problèmes, c’est les gens qui se les créent !
Une rencontre traumatisante
Tous les Yukonnais ont croisé un ours ou un grizzli dans leur vie ! J’avais décidé de faire une randonnée à Gray Mountain. J’étais toute contente, et à l’aise. Je commence ma rando et à un moment donné, je me retrouve vraiment toute seule. Et là, j’entends des bruits dans la forêt et je me dis : « Merde, Chris, fais demi-tour, rentre ! » J’avais déjà fait km. Deux minutes après avoir fait demi-tour, je vois quelque chose sur mon chemin… À ce moment-là, je savais pas que c’était un grizzli, je croyais que c’était juste un petit ours… Qui était déjà quand même pas mal gros ! Il s’arrête, regarde dans ma direction et commence à me renifler… Je me dis : « Putain, t’es morte, tu vas finir morte ». Là, je me dis : « Chris, t’as ton bear spray, ton bâton, tu dois te grandir… Parle-lui… » Je lui dis, à l’ours : « Là ce que je vais faire, c’est pas pour t’attaquer mais pour te dire que c’est mon chemin et je veux retourner à ma voiture et toi tu vas retourner dans ton sentier ». Je m’avance et à ce moment-là, il part en courant dans les bois. Je souffle cinq minutes et je vais courir jusqu’à ma voiture. Je continue de parler à voix haute, je m’insulte de tous les noms, je parle à toutes mes étoiles dans le ciel, je parle à mes neveux, je parle à tout le monde, je me dis que si ma mère était là, elle m’engueulerait !
Je suis peut-être à vingt mètres de ma voiture et je me dis que c’est pas le moment de faire tomber mes clés par terre. Je les prends en main, j’arrive à ma voiture, je les mets dans la serrure, j’ouvre la porte, je me mets dans ma voiture, je ferme la voiture, et là je pleure pendant une heure. Je pleure toutes les larmes de mon corps, mon corps relâche, je tremble, je suis sens dessus dessous ! Sur le coup, je me suis dit : « C’est pas mon heure. »
Faire le bilan de son PVT
J’aurais pu accepter un emploi me permettant d’avoir un permis de travail et revenir en France, refaire ce que j’avais à faire puis repartir au Canada. Sauf que comme je suis tellement tombée en amour partout au Canada, je savais pas où je voulais rester, en fait. J’étais un peu éparpillée, et avec tout ce que j’avais vécu, j’avais vraiment besoin de prendre de la distance. Et encore aujourd’hui, j’ai besoin de digérer tout ce voyage, qui a été transcendant. Transcendant, vraiment. Je pense que j’ai pas changé, je suis toujours la même Chrislaure que j’étais avant de partir, je crois que j’ai pris conscience de choses dont j’avais pas pris conscience avant et puis… Je repars sur un nouveau pan de ma vie.
Si j’ai appris une chose avec le Canada, c’est qu’il faut vraiment se laisser porter par la vie et il faut arrêter de vraiment se conditionner à quelque chose parce que quand on se conditionne, c’est le meilleur moyen de se sentir mal, d’être aigri, d’être en colère et de ne pas reconnaître la beauté qui est autour de nous.
*À partir des années 1750, lorsque le territoire a été repris par la couronne britannique, les Acadiens ont eu le choix entre se retirer en territoire français (souvent, en Louisiane) ou prêter allégeance à la couronne britannique. En sus de ça, les Acadiens ont également été massivement expropriés et déportés.
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