Niamh est partie en PVT au Canada en 2018 et a défriché sur le forum de nombreuses questions que se posent les personnes trans avant de partir au Canada, en particulier à Montréal : Transgenre à Montréal. Après un an de vie sur place, elle revient sur son expérience !

Le changement de prénom, avant de partir ou une fois au Québec ?

C’est possible avant de partir (à la mairie), comme sur place (au consulat). Faire le changement de prénom (sans le “Changement de l’État Civil” aka CEC [la mention de sexe / civilité modifiée sur la carte vitale, carte d’ID, passeport, etc.]), le plus tôt c’est le mieux.

Pour le changement de prénom à distance, on peut se renseigner directement auprès du consulat. Le formulaire à remplir est le même que ce soit en France ou à l’étranger, on peut se renseigner sur ce lien qui informe bien de la réalité légale : Trans.posé.e.s. Pour le CEC, je ne sais pas comment cela peut être fait à distance vu qu’il y a une histoire de tribunal de grande instance, je sais simplement que le CEC demande plus de patience que le changement de prénom.

Pour les formalités du quotidien, j’ai eu mes factures changées avec la gentillesse de certaines personnes (EDF ou certains médecins en France, par exemple, ou au Canada avec mes factures de télécommunications). Une fois le prénom changé, il faut redemander les différentes pièces d’identité (CNI, passeport, carte vitale… lorsque l’on est en France).

Qu’en est-il pour la demande du PVT ?

Je l’avais fait avec mon “deadname”, donc mon futur ancien prénom, celui affiché sur mon passeport.

Tu as connu des difficultés, en France, pendant ta transition…

Je vais commencer par parler de mon expérience en France pour montrer ce qui ne m’est justement pas arrivé au Québec. Je peux dire qu’il y a une différence pré et pendant la transition en France : je suis passée de 100 % de réussite aux entretiens d’embauche à 20 – 30 % après le début de transition (ce sont mes statistiques personnelles).

C’est en partie dû à mon “passing” (le fait que je me fasse encore reconnaître moyennement comme une femme dans la rue, même si dès que je parle, les gens se rattrapent mais c’est encore bien visible d’une certaine manière, il y a le fait que je ne suis pas vraiment dans les clichés féminins: “femme princesse” / “make up routine de 2 heures” / “potins”) qui est aussi lié au fait qu’en France on juge, critique et se moque ouvertement (même dans la rue et les transports en commun) des personnes qui ne rentrent pas dans certaines catégories bien prédéfinies, en bref, il y a non seulement un manque d’ouverture mais aussi un manque de civilité criant dans l’espace public.

Dans le milieu de l’informatique en France dans lequel je travaille, je trouve que les mentalités sont assez archaïques, l’ouverture n’est étonnamment pas de mise si ce n’est dans les discours marketing. Il n’y a qu’en France où vos collègues parleront encore de leur diplôme après 20 ans d’expérience dans un domaine où l’innovation est essentielle (vécu dans plusieurs entreprises, ça change et c’est moins traditionnel que dans d’autres domaines).

J’ai même eu parfois des discours prônant un salaire moins élevé car une entreprise se narguait de “pouvoir” m’accueillir car le personnel avait un sens de l’ouverture donc c’était légitime d’être sous payée.

Je n’ai aussi vécu qu’en France des situations où on vous appelle « madame » et puis lorsque les papiers officiels qui ne sont pas encore changés (une carte vitale qui a un numéro commence avec un 1 par exemple) font surface, on vous dit Monsieur de manière insistante (même si votre prénom est changé et que vous vous appelez un prénom 100 % féminin comme Emilie ou Laura), à chaque fois, une phrase pour tenter de vous mettre mal à l’aise. J’ai de la chance, car honnêtement je suis du genre à ne pas trop souffrir vis-à-vis de cela, j’ai tendance à laisser aller et à me dire qu’il y a des cons / idiots de partout, mais je sais que pour certaines personnes trans cela peut vraiment être insupportable !

Je pense que pour la plupart des gens il y a de l’ignorance sur le sujet des trans, les émissions sont encore pour beaucoup des caricatures. Par exemple, il est rare de voir dans les documentaires une femme trans vivre une vie normale sans entrer dans l’un des clichés suivant :

  • les femmes trans sont toutes des prostituées marginalisées,
  • les femmes trans se prennent toutes pour des princesses overly “girlish”,
  • les femmes trans sont des travestis,
  • la vie des femmes trans tourne nécessairement tout autour d’une certaine “opération”,
  • les relations amoureuses des femmes trans sont compliquées (avec un focus sur la question “mais comment lui dire qu’avant j’étais —”),
  • une fois la transition terminée, la vie reste un calvaire qui ne fait que renvoyer une image de personnes marginalisées.

Il manque un peu l’expression du bonheur comme ce que tout le monde peut avoir.

Est-ce que, à Montréal, tu as ressenti des problèmes d’accès au travail, d’accès à la santé et des discriminations dans ta vie quotidienne ?

En tous cas, j’ai été beaucoup moins discriminée au Québec qu’en France sur le fait que je sois une femme “qui ne passe pas très bien”. Dans le cas du travail, c’est beaucoup plus ouvert, ce n’est pas parfait et j’ai eu quelques entreprises pour lesquelles j’ai été rejetée alors que je correspondais parfaitement mais si je devais sortir un pourcentage je dirais que j’étais plutôt sur 80 % de réussite pour mes entretiens d’embauche alors que je suis l’immigrée femme trans, donc dans une minorité assez bien identifiée.

Il faut dire que de manière globale l’IT recrute beaucoup partout dans le monde mais le fait qu’il y ait une différence aussi flagrante pour une raison aussi clairement identifiée entre deux pays fait que sur le long terme, je ne me voie plus vivre en France. J’y suis retournée car j’ai des problèmes de santé (qui n’ont rien à voir avec la transition) que je ne voulais pas laisser trainer avec certains délais d’attente mais dès que ce sera fini, je repars au Québec.

Pour les médecins, je n’ai jamais eu aucun souci (si ce n’est parfois le prix prohibitif de choses que l’on considère comme acquis en France). C’est parfois plus simple pour certaines choses d’ailleurs, par exemple j’ai trouvé plus simple d’avoir un rdv rapidement pour l’épilation définitive à l’électrolyse qu’en France. Par contre, il se peut que les délais de certains praticiens soient particulièrement longs et coûteux sans la fameuse carte soleil.

Dans la vie quotidienne, je n’ai jamais eu aucun problème, la différence est flagrante avec la France (en incluant la région parisienne), personne ne vous agresse dans la rue verbalement ou physiquement, je me suis vraiment sentie en sécurité à Montréal. Même si parfois la gentillesse d’apparence un peu superficielle peut parfois être énervante, c’est toujours beaucoup mieux que d’être agressée dans la vie de tous les jours.

J’ai trouvé la différence aussi très importante dans le milieu du travail, plus féminin pour certaines professions, moins de blagues lourdes visant tel ou tel segment de la population. C’est certainement plus politiquement correct mais d’une certaine manière c’est aussi plus professionnel.

Est-ce que tu prends un traitement hormonal, et si oui, comment ça se passe pour le suivre au Québec ?

Oui, cela fait un bon moment que je prends un traitement hormonal.
Pour avoir un traitement au Québec, s’il n’était pas commencé avant en France, il faut obtenir une attestation avec une sexologue / psychologue / psychiatre (contrairement à la France, ce n’est pas réservée qu’aux psychiatres) pour indiquer que ton besoin de “changer physiquement” ne cache pas d’autres pathologies (officieusement, pour que les médecins se protègent en cas de problème si la personne change “d’avis” dans son parcours).
Une fois l’attestation en poche, on peut aller voir un endocrinologue pour avoir le traitement.

A savoir que pour celles et ceux qui sont assez réfractaires aux psys, il y a possibilité de voir un médecin qui pratique “l’informed consent”, donc qui libère le patient de la charge d’avoir une attestation pour le traitement hormonal. C’est plus répandu dans les provinces anglophones qu’au Québec. Mais il faut savoir qu’il faudra des attestations pour l’opération de vaginoplastie pour celles qui veulent aller jusque-là.

Est-ce que c’est facile d’y avoir accès et à quel prix (étant donné que les assurances PVT ne prennent pas en charge ce coût) ou est-ce que c’est possible d’emporter une « réserve » depuis la France ?

Il est possible selon les pharmacies d’avoir un stock, je sais que fut un temps (genre, je suis une vieille grand-mère), on pouvait emmener 4 – 6 mois de traitement pour une expatriation longue mais la dernière fois que je suis allée à la pharmacie on m’a dit que l’on pouvait délivrer que pour un mois. En termes de coût, ce n’est pas donné, mais avec le statut de résidente permanente, on peut obtenir la carte soleil et à partir de là tout peut être remboursé pour la transition (sauf bien évidemment la chirurgie esthétique).

Je suis justement en train de discuter avec une autre PVTiste qui se retrouve en ce moment sur Montréal avec des devis de 700 CAD pour des analyses sanguines. De mon côté, je sais que cela montait facilement à plusieurs centaines de dollars et que pour certaines, cela peut créer un véritable trou dans le budget.

Cependant, il y a des associations qui peuvent aider sur le plan émotionnel (support, sorties), légal (vos droits en cas de discrimination, vos droits pour le changement de prénom et civilité sur vos papiers) et logistique (liste de médecins et et de professionnels trans-friendly).

Il y a des groupes de soutien en France, au Québec et aussi dans tout le reste du Canada !

En France :
Le groupe Facebook : ⚧ Entraide transgenre
Les associations : Outrans et Acceptess-T

Pour le Québec, il y a par exemple l’association ASTTEQ et le groupe Facebook Trans / Gender / Queer Montreal.

Tu veux ajouter quelque chose ?

Je dirais que ce qui peut être un peu dur au Canada, c’est parfois le manque de profondeur des relations, beaucoup de choses restent au niveau superficiel et on peut voir cela comme de l’hypocrisie et parfois se retrouver seule. Avec le recul, je trouve la vie plus facile au jour le jour au Canada, alors qu’au final en France les gens sont peut-être plus directs mais pas nécessairement plus honnêtes. J’ai même eu le sentiment à mon retour en France de me trouver dans un pays dans lesquels les gens sont agressifs et mal éduquées.

D’un point de vue plus pratique (et certain.e.s trouveront sûrement à redire) c’est qu’il vaut mieux aimer conduire une voiture (cela reste l’Amérique du Nord, et pis en hiver c’est toujours bienvenu d’être au chaud :)).

Je connais un certain nombre de personnes de mon entourage (moi y compris) qui ont tous pris du poids en allant vivre au Québec, je trouve qu’il faut faire davantage attention. Les restaurants d’entreprises ne proposant pas forcément de la nourriture super “diététique” (je pense qu’il est mieux de faire sa propre lunchbox). Je ne dirais pas que la nourriture est mauvaise en soi c’est juste que les plats proposés ou préparés sont plus gras ou sucrés ou parfois les portions plus importantes. Pour ma part j’ai pris… 10kg… (pas vraiment fière de moi…) en un an et demi (lorsqu’il y a une certaine couche de neige dehors, on n’est pas forcément tentée d’aller au gym 😀 !. Il y a donc de nouvelles habitudes à prendre et se forcer à faire plus d’exercice.

Pour les personnes qui ont des problèmes de santé importants, il faut peut-être tenter de les traiter avant de venir en PVT afin de ne pas trop souffrir en attendant d’obtenir sa carte de résidence permanente (et la carte soleil qui va avec au Québec et même avec ça, c’est possible qu’obtenir certains rdvs puissent être lents ou compliqués).

Ce sont évidemment des grosses généralités qui reflètent mon expérience dans les deux pays. Il se peut que des personnes qui rencontreraient davantage de problèmes au Québec en tireraient des conclusions très différentes. Pour se faire un avis objectif sur la vie dans tel ou tel pays, on peut se référer, s’il est appliqué, au cadre légal (par exemple, objectivement le minimum de jours de congés au Canada est moins important qu’en France) mais au delà de cela, beaucoup de témoignages ne resteront souvent que des opinions.

Il vaut mieux, si on en a la chance, se faire sa propre opinion plutôt que d’imposer son ressenti comme étant une “vérité” aux autres, ou à l’inverse, prendre le témoignage des autres comme étant notre “vérité”.

Enfin, j’aurais un seul vrai conseil à vous donner, c’est d’accepter vos sentiments. Si votre expérience ne vous convient pas au Canada alors que vous vous remettez en question (faux pas culturels), ce n’est pas grave, ce n’est pas un échec. Ne vous forcez pas à être en situation de détresse et essayez plutôt autre chose. Ce n’est pas nécessairement un complot du Canada contre vous ou que les Québécois seraient tous de “méchants hypocrites”. Prenez simplement votre expérience pour ce qu’elle est : une expérience certes, mais une expérience qui vous aidera à mieux se connaître, à mieux savoir ce que l’on n’aime pas, ce que l’on peut tolérer et ce que l’on aime vraiment.

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(3) Commentaires

Flavien I |

J’ai vécu 7 mois à Montréal, et je les trouve beaucoup plus ouverts d’esprit. Ils ont vraiment la mentalité « c’est ta vie, tes envies, on vit dans un pays libre tu fais ce que tu veux… Tu n’as pas à te justifier… » tu as bien fait de quitter la France. Longue et heureuse vie à toi au Québec.

Muriel I |

Plusieurs mois après la bataille : merci Niamh d’avoir témoigné et bonne chance pour la suite du parcours d’immigration 🙂

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Julie I |

Merci pour ton témoignage Niamh 🙂