Peux-tu nous en dire plus sur les personnes que tu as interrogées ?
On parle souvent des « Français au Québec », on imagine une personne avec sa Canada Goose qui s’appelle Ludovic ou Ségolène, mais en fait, j’ai réalisé que les Français au Québec sont beaucoup plus hétérogènes. Il y a beaucoup de clivages. Ça a révélé d’ailleurs plein de choses sur les raisons de partir ou de rester.
Je pense notamment à la condition féminine et au sexisme. La totalité des participantes à la recherche ont exprimé qu’elles n’ont pas nécessairement quitté la France à cause du sexisme, ce n’était pas une raison de partir, mais c’est devenu une raison de rester. Ces femmes ont réalisé à quel point elles subissaient le harcèlement public, le sentiment d’insécurité, des inégalités dans différentes sphères de leurs vies et des enjeux de violences sexuelles. Loin de moi l’idée de conclure que le Québec est moins sexiste ou moins patriarcal, ce n’est pas mon rôle, mais plutôt d’amplifier la voix et l’expérience de ces participantes pour qui la migration a été le moment d’une prise de conscience féministe. Elles disent se sentir en sécurité au Québec, relèvent la possibilité de s’habiller comme elles le désirent, par exemple, sans se faire insulter dans la rue, et on voit alors que les logiques d’établissement ne sont pas les mêmes selon le genre.
Pour les conditions des personnes racisées, c’est plus nuancé. Il y a aussi un rejet du contexte politique français, de l’extrême-droite, du racisme ordinaire. Des participants parlent du fait qu’en France, on les traitait différemment ou faisaient l’expérience de micro-agressions au quotidien. Par contre, au Québec, ce n’est pas une expérience exempte de violence ou de difficultés pour les personnes racisées. Un participant m’a dit, par exemple, avoir découvert « le fait d’être noir » au Québec. En France, on se veut universaliste, on dit plutôt « mais non, t’exagères, le serveur ne t’a pas mal parlé parce que t’es black, on ne voit pas la couleur ». Finalement, c’est quelque chose qui est tellement récurrent dans leur vie, ils réalisent en venant ici qu’ils ont maintenant plus de mots pour en parler.
Ces personnes racisées, notamment d’origine africaine, antillaise ou asiatique, se sont senties enfin validées dans leur identité française… une fois qu’elles ne sont plus en France ! En France, on leur demande toujours « D’où tu viens ? », « Tes parents viennent d’où ? », « Est-ce que t’es né ici ? ». Au Québec, on va plutôt dire, « J’entends ton accent, d’où tu viens ? De la France ? Ok ». Des participants m’ont confié enfin se sentir français et fier de l’être en étant, paradoxalement, loin de la France. C’est une redécouverte de l’identité française.
Sur les enjeux LGBTQ+, moins de personnes de mon échantillon s’y identifiaient donc je ne peux pas généraliser, mais il y a des personnes qui ont dit avoir eu plus de facilités à se dire faire partie de la communauté LGBTQ+ ou de la communauté queer. Plusieurs ont constaté qu’au Québec, il y aurait une plus grande tolérance, un contexte plus favorable, etc.
En bref, j’ai moi-même commencé ma recherche avec mon paquet de clichés sur les Français habitant sur le Plateau, avec plein de cash et la peau plus blanche que neige, mais finalement, c’est bien plus complexe que ça.
(2) Commentaires
Très intéressant ce que vous dites, je crois que je vais relire une deuxième fois.
Merci.
Merci pour vos bons mots, c’est fort apprécié. Si vous souhaitez discuter davantage, n’hésitez pas à m’écrire !
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